Notre lettre 311 publiée le 30 novembre 2011

UN PRÊTRE ESPAGNOL QUI A DÉCOUVERT LA MESSE EXTRAORDINAIRE :
UN EXEMPLE POUR SES FRÈRES PRÊTRES

Il y a quelques mois est paru en Espagne un petit livre intitulé Motu Proprio Summorum Pontificum, un Problème ou une Richesse ?, rédigé par le supérieur de la Fraternidad de Cristo Sacerdote y Santa María Reina, le Padre Manuel María de Jesús. Très vite, cet ouvrage a été traduit en portugais, preuve de l’intérêt qu’il suscite dans la péninsule ibérique, et fait aujourd'hui l'objet d'un projet de version française.

Ce livre, qui va à l’essentiel, rompt en effet le grand silence qui entoure, en Espagne comme au Portugal, la libération de la messe traditionnelle par Benoît XVI. Ce grand silence a été mesuré par les sondages que Paix liturgique a fait réaliser dans ces pays : au Portugal, selon l’enquête Harris Interactive de 2010, 74% des catholiques n’avaient jamais entendu parler du Motu Proprio ; en Espagne, selon l’enquête Ipsos de 2011, ce chiffre grimpait à 81,7%.

L’œuvre du Père Manuel est tout à fait remarquable, spécialement en raison des motivations spirituelles, théologiques et profondément romaines qui l’animent, et que nous vous proposons de découvrir au fil de l’entretien qui suit. La joie et la gratitude qu’il manifeste pour la découverte de la liturgie traditionnelle sont communicatives. Il veut faire partager au maximum le trésor qu’il a découvert.

On ne le dira d’ailleurs jamais assez : l’expérience prouve que les séminaristes, les prêtres et les fidèles (surtout les jeunes : voir notre lettre n°310) qui goûtent à la messe traditionnelle s’y « convertissent » rapidement. La messe extraordinaire est contagieuse… et elle produit des vocations. Par exemple, nul n’ignore ou ne devrait ignorer qu'à Paris les deux paroisses les plus fécondes en vocations sacerdotales sont St-Eugène-Ste-Cécile et St-Nicolas-du-Chardonnet.



I – ENTRETIEN AVEC PADRE MANUEL


1) Père Manuel, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Père Manuel : Mon nom est Manuel Folgar Otero – en religion, P. Manuel María de Jesús. J’ai été ordonné prêtre en 1988 pour le diocèse de Saint-Jacques-de-Compostelle. Là, j’ai exercé pendant dix ans les fonctions de vicaire de la paroisse Saint-Joseph de Pontevedra ; d’aumônier d’hôpital ; de directeur de la Curie de la Légion de Marie et de directeur spirituel d’une section de l’Adoration nocturne. Pendant douze ans j’ai enseigné la religion au collège. J’ai aussi été administrateur de nombreuses paroisses rurales durant les quinze dernières années et, enfin, fondateur d’une association privée de fidèles, la Fraternité du Christ Prêtre et de Sainte Marie Reine (Fraternidad de Cristo Sacerdote y Santa María Reina). De cette dernière sont nés les Missionnaires de la Fraternité du Christ Prêtre et de Sainte Marie Reine, institut religieux féminin en formation, et les Frères de la Fraternité du Christ Prêtre et de Sainte Marie Reine, association cléricale publique [comme la Communauté Saint-Martin, mais de droit diocésain et non pontifical - NDLR] installée à Tolède dont je suis, depuis 2009, le supérieur.


2) Quelle est votre expérience de la forme extraordinaire du rite romain et la place que le Motu Proprio Summorum Pontificum tient dans votre vie de prêtre ?

Père Manuel : Étant donné mon âge – je suis né en 1962 –, je n’ai aucun souvenir de la messe traditionnelle durant mon enfance et encore moins durant mon adolescence et ultérieurement. La première fois que j’ai assisté à une célébration de la Sainte Messe selon ce que l’on appelle maintenant la forme extraordinaire, ce fut après l’an 2000.

C’est seulement à partir de 2004-2005 que j’ai commencé à connaître la liturgie traditionnelle à l’occasion de mes visites au monastère du Barroux. Et j’ai aussi eu en 2007 la possibilité de découvrir le séminaire international de l’Institut du Christ-Roi, à Gricigliano, en compagnie du cardinal Cañizares qui y conférait les ordinations sacerdotales. De fait, ce fut seulement à partir de 2007, avec la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum que j’ai commencé à célébrer de façon assidue selon la forme extraordinaire. En octobre de la même année, lors d’une audience inoubliable, le cardinal Castrillón Hoyos, qui était président de la commission Ecclesia Dei, nous a donné ses encouragements. Aujourd’hui, la forme extraordinaire est le propre de notre communauté et est reconnue comme telle dans nos statuts.

Mon expérience est très positive et même, à certains égards, passionnante. J’ai parcouru le chemin de la découverte de ce trésor merveilleux qui nous était caché en compagnie des Frères de ma communauté mais aussi de mes paroissiens. Pour les plus anciens, ce fut une redécouverte et pour les plus jeunes une totale nouveauté.

Dans mes différentes paroisses, je n’ai jamais rencontré la plus minime aversion ou résistance envers la messe traditionnelle. Cela pourra en surprendre certains, mais c’est ainsi. Mes fidèles et moi, ensemble, avons vécu dans notre chair cette expérience que raconte l’évangile, celle du père de famille qui tire du trésor familial du neuf et du vieux (Mt 13:51). Ce père de famille fut pour nous Sa Sainteté Benoît XVI, qui nous révéla et mit à notre disposition ce merveilleux trésor, ancien mais toujours renouvelé, qu’est la liturgie bimillénaire de l’Église, authentique monument de foi et de piété.

Dans ma vie de prêtre, cela a représenté un enrichissement à tous les niveaux : doctrinal, prière, identification au Christ Prêtre et Victime, etc. Et en tant d’autres aspects qu’il ne convient pas d’approfondir aujourd’hui. J’en profite pour souligner une erreur : certains reconnaissent que la liturgie traditionnelle peut enrichir le prêtre qui la célèbre, mais la jugent préjudiciable aux fidèles qu’elle appauvrirait spirituellement en diminuant sensiblement voire en interdisant leur participation et leur compréhension de la liturgie ; je dois humblement dire que cela ne coïncide pas avec mon expérience, bien au contraire.

La célébration de la liturgie traditionnelle oblige le prêtre à accorder une attention pastorale plus grande aux fidèles, dans le sens de se consacrer davantage à leur formation doctrinale et spirituelle : une formation permanente reposant sur l’enseignement de ce qu’est la véritable actuosa participatio [participation active - NDLR] – à savoir une disposition intérieure de s’unir au Christ Victime par l’intermédiaire du prêtre qui, comme ministre du Christ et de l’Église, renouvelle et offre le Saint Sacrifice –; un plus grand soin apporté à leur formation liturgique et mystagogique [initiation à la compréhension spirituelle des sacrements, comme la pratiquaient les Pères de l’Église - NDLR]. De quel droit et sur quelle base pouvons-nous sous-estimer la capacité des fidèles à participer dignement et avec fruit à la liturgie bimillénaire de l’Église ? Il y a des fidèles peu cultivés et issus de milieux simples qui pourraient en remontrer à bon nombre de ceux qui se croient doctes. Des fidèles qui n’ont jamais mis les pieds dans une faculté de théologie mais qui connaissent par cœur le contenu de la foi, vivant avec une profondeur étonnante le mystère eucharistique par leur profonde union au Christ Prêtre, tirant de leur participation au Saint Sacrifice la force et l’inspiration pour s’offrir ensuite, dans leur vie quotidienne, comme hosties vivantes, saintes et agréables à Dieu.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, les fidèles savent lire et peuvent suivre les textes de la Sainte Messe dans leur missel, pour s’associer plus parfaitement aux prières de la Sainte Liturgie. Cela exige une concentration et une attention plus grandes de celles de ceux qui se contentent d’écouter.

Par-delà bien des objections au Motu Proprio, on trouve plus d’idéologie que de raisons fondées.


3) Dans l’introduction à votre livre, vous justifiez votre ouvrage par la méconnaissance que les prêtres et encore plus les fidèles espagnols ont du Motu Proprio. Vous n’êtes donc pas surpris par le résultat du sondage réalisé par Ipsos pour Paix Liturgique à la veille des JMJ et qui indique que 69,5 % des pratiquants espagnols n’en ont jamais entendu parler ?

Père Manuel : Je ne suis pas du tout surpris. En fait, le résultat me semble même en deçà de la réalité. Je suis convaincu que l’immense majorité des fidèles n’a jamais entendu parler du Motu Proprio. Et que ceux qui en ont eu quelque écho, y compris parmi les prêtres, n’en connaissent pas le contenu. On lit peu de choses à son sujet. L’idée qui prédomine, totalement déformée, est que le pape a autorisé la messe en latin pour les fidèles de Mgr Lefebvre, un point c’est tout.

Nombreux sont ceux qui répandent cette équivoque dans le but de mettre une sourdine à l’enseignement du pape et de diminuer l’importance du Motu Proprio qui, soit dit en passant, a force de loi pour l’Église universelle et qui, en tant que tel, édicte des droits et des devoirs authentiques devant être respectés par tous.

Malheureusement, de nombreuses personnes se contentent des titres à sensation, qui déforment la réalité et la vérité des contenus, qu’offrent certains médias.


4) Votre livre, et sa forme autant que son contenu le prouvent, a donc pour principal objectif de mieux faire connaître le texte du Motu Proprio et la volonté pontificale en matière de liturgie. Quel accueil a-t-il reçu en Espagne ?

Père Manuel : J’ai essayé de faire de mon mieux. L’accueil auprès de ceux que le livre a pu toucher a été très bon même si nos moyens ont été limités.

Pour un sujet de ce genre, on ne peut pas compter sur les maisons d’édition catholique. Cela ne les intéresse pas, ne correspond pas à leur ligne éditoriale... Il suffit de penser que quand le livre fabuleux de Mgr Schneider, Dominus Est – dont on dit qu’il a beaucoup plu au Saint-Père –, a été offert à différents éditeurs espagnols pour une somme dérisoire au regard des droits d’auteur, aucun n’a voulu le publier. Je ne sais pas ce qu’il en serait aujourd’hui... Et je parle de maisons d’édition catholiques, dont certaines réputées “conservatrices”. Là encore, l’idéologie prévaut. C’est comme si l’on voulait que les gens ne sachent pas trop de choses, ne pensent pas par eux-mêmes, se soumettent à la pensée dominante. C’est triste mais c’est ainsi. Benoît XVI a dénoncé de façon répétée la dictature du relativisme. Eh bien, nous pourrions parler également, sans doute, de l’existence d’une dictature de la pensée unique, présente et très puissante dans certains cercles.

Pourquoi certains manifestent-ils tant de peur à l’idée que les gens puissent connaître, expérimenter et décider ? Ne proclame-t-on pas depuis désormais de nombreuses années que les laïcs sont majeurs ? Ne peut-on pas laisser les fidèles décider et éviter de mettre des bâtons dans les roues des décisions du Saint-Père ?


5) Dans votre chapitre 9, vous insistez sur la nécessaire unité des Églises locales avec Rome. Un seul prélat espagnol, Mgr Ureña Pastor, a pour l’instant célébré la forme extraordinaire dans son diocèse, peut-on espérer que son exemple soit bientôt suivi par d’autres évêques ?

Père Manuel : À ce jour, deux autres évêques espagnols semblent en fait avoir également célébré la forme extraordinaire, même si cela a eu lieu quasiment en catimini : lors des JMJ. Sans annonce préalable ni compte rendu. N’y ont participé presque que ceux qui étaient certains d’y assister parce que faisant partie de groupes liés à la forme extraordinaire. Je ne sais sur qui repose la responsabilité de cette situation mais ne m’autorise pas à penser que cela a été fait de mauvaise foi.

Je n’imagine pas que d’autres évêques célèbrent prochainement la messe traditionnelle dans leur diocèse, notamment parce qu’il n’existe pas de demandes organisées et structurées de la part de fidèles, de religieux ou de prêtres. Toutefois, de nombreux prêtres reconnaissent ne pas oser apprendre ni célébrer par peur des incompréhensions et des critiques.

En Espagne, nous en sommes au stade de Nicodème : apprendre à célébrer en cachette...

Contre les faits, il n’y a pas d’argument qui tienne. Et les faits nous disent qu’il appartient aux fidèles et aux prêtres les plus décidés et convaincus de faire avancer les choses. Je ne connais pas la pensée intime du Saint-Père mais il semble précisément qu’avec le Motu Proprio le pape ait libéré l’argument de la décision arbitraire des évêques. Ces dernières années, de façon constante, Rome insiste sur le “droit des fidèles” à participer à la liturgie traditionnelle et non sur celui des évêques à l’autoriser ou non. L’autorité la plus haute en matière liturgique est le pape. Or, c’est Benoît XVI qui a promulgué le Motu Proprio et en a profité pour rappeler que la messe traditionnelle n’a jamais été officiellement interdite. Ce qui me fait penser que, là où elle fut effectivement interdite, ce fut au mépris du droit.

Les églises locales sont appelées à vivre en communion affective et effective avec la Mère Église de Rome. Cette communion s’exprime et se manifeste de manière excellente à travers la liturgie. Sans nul doute, dans chaque diocèse, l’évêque est le responsable suprême de la liturgie, office qu’il doit remplir en parfaite communion et syntonie avec le Siège apostolique. C’est précisément pour cela que le Motu Proprio ne diminue en rien l’autorité des évêques.

Une autre énormité consiste à affirmer que la coexistence de différentes formes liturgiques met en danger la communion ecclésiale. Cette argumentation se démonte facilement aussi bien sur le plan historique que sur celui de la réalité concrète. Il suffit de considérer la richesse des distincts rites orientaux et latins. Qui peut affirmer sérieusement qu’une telle variété met en danger l’unité de l’Église ? Au contraire, l’unité de l’Église est attaquée quand se nient les vérités de la foi, quand se conteste le magistère, quand on désobéit au Vicaire du Christ ou quand quelqu’un s’approprie la liturgie comme si elle était sienne, la “fabriquant” en marge des lois de l’Église.

Il y a aussi des évêques qui expliquent qu’en réalité il n’y a pas un nombre suffisant de fidèles qui sollicitent la célébration de la forme extraordinaire. C’est parfois vrai, du moins en Espagne. Mais il est tout aussi vrai que l’on ne demande guère ce que l’on craint de demander et pas du tout ce que l'on ignore. Or, aujourd’hui, beaucoup ignorent l’existence même de la forme extraordinaire et, de ce fait, ne peuvent se prononcer librement.


6) Pour revenir au sondage Ipsos pour Paix liturgique, que vous inspire en revanche le chiffre de 50.4 % des pratiquants qui se déclarent prêts à assister au moins une fois par mois à la forme ordinaire si elle était célébrée dans leur paroisse, sans se substituer à la forme ordinaire ?

Père Manuel : Cela ne me surprend pas dans l’absolu. Je crois même que le pourcentage d’assistance réelle pourrait être supérieur, ayant observé que là où la forme extraordinaire vient à être célébrée – après 40 ans ! – les fidèles restent émerveillés et demandent de pouvoir y assister encore. Ils ne comprennent pas pourquoi un semblable trésor demeure caché derrière une porte fermée à double tour. Et je parle de fidèles de tous les âges. Il est très curieux de voir combien la forme extraordinaire plaît aux enfants. La messe traditionnelle exerce un attrait tout particulier sur les enfants de chœur. Et de même pour les jeunes qui ont une sensibilité et une disposition particulières pour la beauté, le sens du mystère, l’adoration et le silence contemplatif.

Je dois dire aussi qu’une formation préalable est requise ainsi qu’une véritable catéchèse liturgique pour redécouvrir toute la richesse symbolique, doctrinale et spirituelle de cette liturgie. Les fidèles en sont enchantés.


7) Un mot pour conclure ?

Père Manuel : Je remercie Paix liturgique pour cet entretien. Comme son nom l’indique, il s’agit d’atteindre la paix liturgique et, surtout, celle des cœurs, fruit de la justice. Et c’est faire œuvre de justice que de respecter les droits des fidèles et d’octroyer à la liturgie traditionnelle la place qui lui revient ! Ainsi l’exprime notre très aimé pape Benoît XVI dans sa lettre aux évêques qui accompagne le Motu Proprio Summorum Pontificum : “Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place.”


Pour acquérir le livre (version originale en espagnol),
vous pouvez adresser un message électronique à :
santamariarenet@hotmail.com
ou appeler au 0034 619 011 226.

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