Notre lettre 206 publiée le 28 novembre 2009

LE BILAN DU MOTU PROPRIO AUX PHILIPPINES

Depuis que le Cardinal de Manille, Monseigneur Gaudencio Rosales, a fait parler de lui au début de l'année 2009 en publiant de drastiques dispositions visant à empêcher l'application du Motu Proprio Summorum Pontificum dans son diocèse, nous avons entrepris de recueillir des informations sur l'actualité liturgique aux Philippines. Aujourd'hui, grâce au concours de notre ami Carlos Antonio Palad, nous pouvons vous présenter un point précis de la situation dans ce grand pays de tradition catholique. Cet aperçu confirme s'il en était besoin, que la demande d'application du Motu Proprio et la soif de réconciliation entre les catholiques ne sont pas des spécificités franco-françaises mais qu'au contraire, il s'agit de sujets éminemment universels, donc profondément catholiques.


I - Avant 2007

À la veille du Motu Proprio Summorum Pontificum, la messe traditionnelle était célébrée - avec l'accord de l'évêque du lieu - dans cinq diocèses des Philippines (sur un total de 72 organisés en 16 archidiocèses), soit par permission orale de l'évêque soit par l'existence d'un indult écrit : l'archidiocèse de Jaro et les évêchés de Cubao, Bacolod, Imus et Tagbilaran.

Dans seulement trois de ces lieux - diocèses de Jaro, Cubao et Bacolod -, la messe dominicale était célébrée de façon régulière. À Imus, la messe de l'indult, après avoir bénéficié d'une église paroissiale, avait fini par trouver refuge au domicile des fidèles tandis qu'à Tagbilaran, le prêtre ne pouvait célébrer qu'en privé.

En dehors de ce cadre officiel, il existait une communauté conséquente, issue du diocèse d'Imus, assistant à la messe non autorisée célébrée par un prêtre coréen sur le territoire de l'archidiocèse de Manille. Une communauté qui a ensuite disparu lorsque ce prêtre est retourné dans son pays. De façon sporadique, d'autres messes étaient célébrées ici et là, mais sans visibilité ni régularité (diocèses d'Antipolo, Davao, San Pablo notamment).

Enfin, il convient de considérer la situation particulière des fidèles et des prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, très fortement implantée et particulièrement dynamique aux Philippines (cf. http://www.sspxasia.com/Countries/Philippines/index.html) : nombreux prêtres missionnaires de la Fraternité, noviciat, plusieurs dizaines de lieux de messes, églises et chapelles, écoles, plusieurs milliers de fidèles... autant de signes qui illustrent l'attrait des Philippins pour la liturgie traditionnelle de l'Eglise nonobstant le peu d'empressement des autorités officielles à lui laisser droit de cité.


II - Aujourd'hui

Au lendemain de la promulgation du Motu Proprio, la messe dominicale devint accessible dans huit diocèses : Manille, Cebu, Davao, Sorsogon, Tagbilaran, Baguio, Malolos et Paranaque ; puis, plus récemment, grâce aux Franciscains de l'Immaculée, dans le diocèse de Malaybalay. Malheureusement, dans six des diocèses pionniers, la messe dominicale hebdomadaire a reculé, si ce n'est disparu :

- dans le diocèse de Malolos, la messe a été enterrée en même temps que le courageux prêtre qui la célébrait, le Révérend Moises Andrade (*), à l'âme duquel fut même refusée une messe de Requiem selon la forme extraordinaire,

- à Manille, la messe s'arrêta dès l'été 2008 quand le prêtre la desservant fut "envoyé" en Europe pour étudier,

- à Tagbilaran, la messe n'est plus célébrée le dimanche mais en semaine,

- à Davao la messe s'est arrêtée soi-disant à cause d'un manque de fidèles… les lecteurs comprendront ce que cela signifie.

- à Sorsogon, la messe, célébrée dans un établissement scolaire par un père somasque, n'est plus que mensuelle en raison des difficultés rencontrées par les fidèles pour y participer ; en revanche, le prêtre célèbre régulièrement pour ses étudiants,

- enfin, à Paranaque, la messe a été stoppée du jour au lendemain, fin juin 2009, par une circulaire laconique du prêtre chargée de la célébrer. Cette dernière messe, célébrée dans la paroisse Saint Jérôme Emiliani, était la plus suivie du pays, rassemblant plus de 250 fidèles chaque dimanche. Son arrêt brutal a provoqué l'éclatement de la communauté.


III - LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE


1 - Si l'on ajoute aux informations précédentes que la messe naguère célébrée à la cathédrale de Jaro - où elle était fortement suivie - a été depuis le Motu proprio Summorum Pontificum déplacée dans la chapelle d'un séminaire voisin (mais sans que les séminaristes soient incités à y participer), le bilan de la forme extraordinaire aux Philippines a de quoi sembler négatif. Mais, même si l'élan de 2007-2008 a été freiné par l'attitude de certains prélats, à commencer par le cardinal de Manille, reste que, grâce au Saint-Père, il y a désormais 9 célébrations "Extraordinaires" dominicales régulières dans 7 diocèses contre 3 seulement (dans autant de diocèses) en 2007. Au final, il y a désormais plus de prêtres et de fidèles familiers de la forme extraordinaire aux Philippines.
Ainsi, il apparaît que ce bilan médiocre en apparence ne l'est pas tant que cela lorsqu'on prend la mesure de l'opposition systématique de l'épiscopat local à l'application du Motu Proprio Summorum Pontificum.

2 - Surtout, à ce bilan comptable, il convient d'ajouter deux éléments significatifs :

- les Philippines sont avec l'Italie le berceau des Franciscains de l'Immaculée (voir Lettre de Paix Liturgique n° 171), communauté en plein essor ayant embrassé avec enthousiasme la réforme de la réforme voulue par le Saint-Père ; ainsi, à mesure que leurs jeunes prêtres vont se familiariser avec la forme extraordinaire, les Franciscains de l'Immaculée vont-ils pouvoir offrir de nouvelles possibilités de célébrations de messes selon le missel de Jean XXIII, comme c'est déjà le cas en Italie,

- la commission liturgique du diocèse de Baguio, où la forme extraordinaire est célébrée sans accrocs en différents lieux, a diffusé il y a quelques mois un petit dépliant consacré à la messe traditionnelle ; très intelligemment fait, il présente l'histoire de la forme "Extraordinaire" de la messe, son cadre canonique actuel, une comparaison succincte des deux formes et quelques rappels utiles sur l'attitude révérencieuse qui devrait être celle du fidèle au cours de la célébration.

3 - C'est pourquoi les nouvelles qui nous viennent des Philippines sont donc non seulement encourageantes mais aussi parfaitement comparables avec les situations que nous rencontrons en Europe : en dépit de blocages cléricaux persistants, l'attrait de la forme extraordinaire et l'adhésion à la réforme engagée par Benoît XVI pour la réconciliation entre catholiques gagnent sans cesse plus de fidèles et de prêtres. Si les oppositions épiscopales de Manille à Paris ralentissent le processus de pacification dans l'Eglise, elles ne peuvent plus rien aujourd'hui contre la prise de conscience de catholiques de plus en plus nombreux de la nécessité d'oeuvrer à la réconciliation dans l'Eglise d'une part et contre la constante progression du nombre des fidèles qui souhaitent vivre leur foi au rythme de cette liturgie "ré-autorisée" et de prêtres qui souhaitent la célébrer d'autre part. Un combat épiscopal d'arrière garde en somme.


(*) Né en 1948, le RP Andrade, bien que diplômé en liturgie à Rome et chargé de la traduction en tagalog (la langue officielle des Philippines avec l'anglais) de certaines des réformes issues du Concile Vatican II, a toujours œuvré à la promotion du rite traditionnel, étant l'un des rares prêtres philippins à bénéficier dès les années 1980 d'un indult pour le célébrer. Il a été prématurément rappelé à Dieu en février 2009.

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