Notre lettre 1000 publiée le 23 janvier 2024
MAIS POUR QUI DONC « ROULE » PAIX LITURGIQUE ?
PREMIER VOLET DE NOTRE ENQUÊTE : RETOUR SUR 60 ANS D’AUTISME ÉPISCOPAL
Pour qui donc « roule » Paix Liturgique ? Cette interrogation est réapparue chez certaines personnes, clercs ou laïcs, qui ne connaissent pas bien l’histoire d’Oremus-Paix Liturgique à l’occasion des effervescences en cours dans le diocèse de Quimper, et à la suite de ceux survenus hier ou il y a plus longtemps à Dijon, à Grenoble, à Tours et en de multiples autres lieux. Nous avons demandé à notre ami Louis Renaudin d’approfondir cette question avec Christian Marquant le président du mouvement pour la Paix liturgique.
Louis Renaudin – Cher Christian, la question que certains, qui ne vous connaissent pas, se posent, est celle de savoir, comme on le dit familièrement, « Pour qui roule Paix liturgique ? »
Christian Marquant – Une question aussi directe appelle une réponse tout aussi directe et extrêmement simple : depuis sa création en 1987 Paix Liturgique « roule », tout simplement pour les laïcs perplexes devant les innovations du catholicisme contemporain et qui souhaitent continuer à vivre leur foi et à prier au rythme de l’Église de leurs aïeux… Paix liturgique « roule » pour tous ces fidèles qui sont les grands oubliés de l’Église postconciliaire et sont souvent persécutés par ceux qui devraient les aimer.
Louis Renaudin – Vous « roulez pour les oubliés, persécutés ?
Christian Marquant – Oui, Paix liturgique « roule » pour les oubliés, pour les persécutés ! Car si les déclarations officielles, depuis plus d’un demi-siècle, insistent fortement sur le rôle des laïcs et l’importance qu’il faut leur accorder, la réalité, malheureusement, est tout autre et les laïcs dont je parle ne sont ni écoutés ni entendus par leurs pères, par ceux qui dirigent l’Église d’aujourd’hui, qui ne veulent pas croire qu’ils existent et qui n’hésitent pas à les persécuter.
Louis Renaudin – Pourquoi cette contradiction ?
Christian Marquant – Tout simplement parce que les démagogues, qui ont mis en avant depuis le milieu des années 60 la « promotion du laïcat », n’avaient jamais imaginé ce qui allait se passer. Ces hommes d’Église novateurs vivaient et vivent dans une bulle, coupé de la réalité du monde des fidèles catholiques.
Louis Renaudin – Et que s’est-il passé ?
Christian Marquant – Ces novateurs au moment du Concile craignaient un conservatisme du monde clérical plutôt hostile à leurs entreprises néo-modernistes. Ils ont donc joué la carte des laïcs en pensant naïvement que ceux-là seraient naturellement plus modernes que les clercs.
Louis Renaudin – Mais n’est-ce pas ce qui s’est passé ?
Christian Marquant – Pas exactement. Si dans les décennies 60/80 une petite fraction des laïcs « engagés » a soutenu activement les dérives postconciliaires, ce courant ne s’est pas reproduit et a commencer à décroitre puis très rapidement, à s’estomper, pour presque disparaître dans l’Église contemporaine. Parallèlement, d’autres laïcs se sont au contraire reproduits, s’avérant jeunes et toujours plus nombreux. Ils ont élevé la voix pour faire savoir qu’ils n’étaient pas favorables aux dérives catéchétiques, liturgiques et morales en cours.
Louis Renaudin – Vous avez des exemples ?
Christian Marquant – Prenons-en deux. Le premier est celui de la création d’Una Voce, en Norvège, en octobre 1964, puis en France, en Suisse, en Italie (avec Cristina Campo comme cofondatrice), Angleterre, Allemagne, etc., notons-le, il y a maintenant 60 ans… Cette initiative fut très importante car elle a révélé dès sa création la dimension internationale, presque universelle, d’une résistance de laïcs à « l’esprit du Concile », qui pouvaient s’appuyer sur les ambiguïtés du « en même temps » des textes conciliaires. Sacrosanctum Concilium, encourageait la langue latine dans la liturgie et le chant grégorien et en même temps les langues vernaculaires. Ces laïcs pouvaient attaquer les pratiques diocésaines et paroissiales du tout vernaculaire, qui étaient devenues la règle dans les Églises occidentales : par exemple, en 1965, avant le nouveau missel, on connaissait le canon en français. À cette époque, c’était un « abus ».
Louis Renaudin – Mais Una Voce n’était toutefois qu’un groupe minoritaire.
Christian Marquant – Rappelons toutefois que la Fédération Internationale Una Voce, née à Zurich en 1967 est présente dans plus de 50 pays et ne constitue donc pas un simple groupuscule. Elle est le révélateur que, dès le début du développement des dérives postconciliaires, des voix se sont élevées brisant le mythe de l’accord unanime des laïcs envers les nouveautés pastorales et catéchétiques. Ces laïcs n’étaient ni marginaux, ni minoritaires, la suite va le prouver.
Louis Renaudin – Et votre deuxième exemple ?
Christian Marquant – Il est celui du mouvement des Silencieux de l’Église, une association fondée en 1969 par Pierre Debray, pas silencieux du tout, pour « se dresser contre l’autodestruction de l’Église notamment sur le plan catachétique en contestant l’orthodoxie du Catéchisme hollandais ». Le mouvement tint, les 7 et 8 novembre 1970, ses assises à Versailles : une assemblée qui réunit près de 10 000 personnes.
Louis Renaudin – Ce n’est pas négligeable...
Christian Marquant – D’autant que ce mouvement permettait de se faire une idée de ceux qui étaient ses « silencieux », en révélant l’existence d’un large spectre social réunissant dans une même conviction autant des ministres que des paysans ou des mineurs du Nord de la France et autant des professeurs d’université que de jeunes avocats ou médecins. Un kaléidoscope assez représentatif de la France d’alors.
Louis Renaudin – Ce mouvement permit-il un assagissement des modernes ?
Christian Marquant – Pas du tout, bien que les médias aient largement couvert l’évènement et son succès.
Louis Renaudin – Avez-vous une explication à ce vide ?
Christian Marquant – J’en ai deux. La première est que ce mouvement ne correspondant pas à l’imaginaire des tenants de l’Esprit du Concile ceux-là donc ne pouvaient que répondre par une forme d’autisme négationnisme. C’est d’ailleurs à ce moment qu’apparurent les quolibets du genre « assemblée de nostalgiques », d’« anciens combattants », de « pétainistes », de « reliquats d’un autre âge », de « peuple réactionnaires ».
Louis Renaudin – La seconde ?
Christian Marquant – Elle est presque plus fondamentale. C’est que les clercs qui passaient pour les soutiens de ce mouvement de laïcs, comme l’abbé Luc Lefebvre, étaient honnis des ecclésiastiques qui avaient pris les commandes de l’Église de France. La pression qui fut immédiatement exercée sur eux fut telle qu’il leur fut impossible de continuer à participer et à encourager le mouvement, qui se retrouva isolé à un moment où les laïcs avaient encore l’habitude d’être très « soumis » aux injonctions des clercs. Un clerc, quel qu’il soit, est très dépendant de sa hiérarchie et ne dispose pratiquement pas de marges de manœuvre en cas de conflits. Aussi, si les autorités l’enjoignent au silence ou même à l’abandon il se trouve que rarissimes sont ceux qui ont ne serait-ce que la possibilité économique de continuer à tenir leurs positions.
Louis Renaudin – Y en a-t-il eu ?
Christian Marquant – Beaucoup, mais rarement des jeunes prêts à sacrifier leur carrière et même leur avenir. Ce fut par exemple le cas de l’abbé Gilles Dubosc qui eut le courage de faire ce type de choix mais aussi d’un dom Gérard Calvet qui fonda le prieuré de Bédoin et plus tard l’abbaye du Baroux. L’histoire montre que ces héros furent très peu nombreux.
Louis Renaudin – Mais pour en revenir aux Silencieux, continuèrent-ils leur mouvement ?
Christian Marquant – Pratiquement pas, car si les clercs étaient tenus à une soumission envers leur hiérarchie, les laïcs n’avaient pour la plupart pas encore pris la mesure de leurs responsabilités. Aussi, les Silencieux redevinrent-ils effectivement silencieux comme la plupart des mouvements catholiques en désaccord plus ou moins net avec l’idéologie postconciliaire, qui se replièrent sous leurs tentes comme la Cité Catholique et bien d’autres encore.
Louis Renaudin – Donc les laïcs opposés aux dérives modernisantes n’avaient plus d’espoir de se faire entendre.
Christian Marquant – En effet, face à des prélats autistes ou lâches, leurs chances de se faire entendre étaient devenues minces. Mais comme catholiques nous savons que la divine Providence sait agir quand elle le veut et comme elle le veut et c’est d’une certaine manière ce qui se produisit en 1976.
Louis Renaudin – Que se passa-t-il en 1976 ?
Christian Marquant – Un miracle au milieu d’une tempête. C’était celui du sondage du 13 août 1976, au cœur de « l’été chaud », ainsi nommé en raison de la canicule de cette année-là mais aussi en référence à l’agitation extrême provoquée dans l’Église par la messe traditionnelle célébrée par Mgr Lefebvre, devant des milliers de fidèles, à Lille. Un sondage publié par l’IFOP et le Progrès, journal de Lyon mit au jour l’ampleur du malaise en révélant que 48% des catholiques pratiquants estimaient que l’Église était allée trop loin dans les réformes. Chiffre auquel il faut sans doute rajouter l’immense majorité de ceux qui avaient cessé de pratiquer entre 1965 et 1976, un mouvement qui continue aujourd’hui encore (et que l’on peut mesurer en Allemagne ou chaque année des centaines de milliers de catholiques déclarent quitter leur Église pour laquelle ils ne veulent plus continuer à payer l’impôt pour l’Église ; soit qu’ils sont totalement sécularisés, soit parce qu’ils ne se reconnaissent plus en elle).
Louis Renaudin – Impressionnant...
Christian Marquant – Oui impressionnant car ce sondage de 1976 révélait que, plus de 10 ans après le Concile, à un moment où toutes les forces de l’Église conciliaire étaient arc-boutées pour faire croire à tous que l’Église était au bord du schisme et que Mgr Lefèvre en était le fauteur criminel, 26% des catholiques pratiquants français lui donnaient raison et 42% des catholiques pratiquants pensaient que les réformes avaient eu pour effet d’éloigner l’Église de sa doctrine originelle.
Louis Renaudin – Quelles furent les réponses apportées par les pasteurs à cette révélation ?
Christian Marquant – La révélation qu’entre un tiers et la moitié des fidèles étaient en opposition avec la ligne ecclésiale officielle était trop insupportable pour nos pasteurs. En fait, après une légère réaction, nos prélats sont retombés pour longtemps dans un autisme absolu.
Louis Renaudin – Car, de fait, ce sondage révèle une opposition d’une immense ampleur.
Christian Marquant – C’est pour nous l’élément le plus important de savoir qu’à côté d’une institution souvent autiste il existe un peuple catholique en grande partie silencieux certes mais qui n’est pas en harmonie avec la ligne officielle néo-moderniste, ce qui nous éclaire sur divers évènements qui se dérouleront dans les années qui suivent.
Louis Renaudin – De quoi parlez-vous ?
Christian Marquant – Dans un premier temps de la prise de Saint-Nicolas du Chardonnet en 1977, qui, rappelez-vous, avait une longue préhistoire que relate en détail la correspondance entre Mgr Ducaud-Bourget et le cardinal Marty qui avait toujours refusé de donner une église aux milliers de parisiens qui contestaient les dérives modernises. Et puis il y a eu l’affaire de Port-Marly, dix ans plus tard, en 1987.
Louis Renaudin – Qui était un événement semblable ?
Christian Marquant – Largement, en révélant l’importance du front du refus de l’Esprit du Concile. Ces deux événements eurent un large soutien populaire et trans-générationnel.
Louis Renaudin – Pensez-vous que ces résistants catholiques français avaient le sentiment d’être nombreux ?
Christian Marquant – Pas du tout. Ils pensaient qu’ils étaient les seuls peut-être les derniers. C’est dans ce contexte que nous avons fondé l’association Oremus pour tenter de leur venir en aide.
Louis Renaudin – Une confédération ?
Christian Marquant – Non, un réseau. Car chaque groupe avait son histoire spécifique, et chacun agissait dans un contexte particulier avec des logiques locales qui ne pouvaient être généralisées. Mais ce dont tous ces catholiques isolés avaient besoin c’était de savoir qu’ils n’étaient pas seuls et que partout en France, et même à l’étranger, d’autres groupes semblables étaient confrontés aux mêmes refus et aux mêmes manipulations.
Louis Renaudin – C’est donc ainsi qu’est né le réseau de Paix liturgique.
Christian Marquant – Tout à fait ! En essayant de se faire l’écho, auprès de nos pasteurs, de ces milliers de catholiques persécutés. Je dois vous avouer que ce réseau m’impressionna par son ampleur, sa diversité et sa vivacité.
Louis Renaudin – Mais vous avez voulu aller plus loin.
Christian Marquant – Oui par l’organisation de sondages. J’ai déjà évoqué (Lettre 699, du 18 juin 2029) notre rencontre, en 1990, Mgr Moutel (alors évêque de Nevers et en charge des traditionnalistes au sein de la Conférence de Évêques de France) qui restait figé sur sa conviction que les catholiques attachés aux formes et à la foi traditionnelles étaient peu nombreux : « Au grand maximum vous êtes 50 000 en France. » Cela nous obligea en quelque sorte à essayer de lui montrer qu’il était dans l’erreur.
Louis Renaudin – Comment avez-vous pu y parvenir ?
Christian Marquant – Je dirais par hasard, sachant que le hasard est Providence, avec l’idée de faire réaliser un sondage national pour savoir quelle liturgie désiraient les catholiques français.
Louis Renaudin – Ce fut le premier des fameux sondages de Paix Liturgique.
Christian Marquant – Je ne sais pas s’ils sont fameux, mais ils firent prendre conscience à beaucoup d’une réalité à laquelle ils n’avaient jamais pu croire. En fait nous étions très nombreux parmi les catholiques pratiquants ou non, autant en France que dans le monde, à être opposés à la dérive modernisante et, en face de nous, peu, très peu nombreux, étaient ceux qui la défendaient, sans parler d’une majorité libérale considérant nos souhaits comme légitimes. Il ressort de ce demi-siècle de réaction laïque que les fidèles qui s’opposèrent au néo-modernisme ambiant étaient, et sont encore plus nombreux aujourd’hui (je dirais qu’ils représentent à minima un tiers des fidèles catholiques pratiquants).
Louis Renaudin – Mais si vous étiez si nombreux pourquoi donc nos pasteurs ne surent pas vous écoutés ?
Christian Marquant – Parce que l’autisme des pasteurs avait une cause fondamentale. Les fondements de notre foi avaient été modifiés insidieusement. En fait, il ne s’agissait pas seulement pour nos prélats de remettre les pendules à l’heure pour s’harmoniser sans trop de frais avec leurs laïcs, mais il leur fallait revenir sur des orientations profondes, sur lesquelles ils n’avaient pas l’intention ou le courage de revenir.
Louis Renaudin – Mais cela est-il possible ?
Christian Marquant – C’est ce que je vais essayer de démontrer au cours de notre second entretien, dans lequel j’essayerai d’analyser les mutations qui se sont enchainées dans l’Église depuis le Concile au point de changer la nature et la foi de celle-ci et d’en arriver où nous en sommes : l’Église n’offre pratiquement plus aucune résistance à la sécularisation, sauf au sein de ce qu’on appelle les dernières « forces vives » du catholicisme, et elle semble prête à disparaître corps et biens.