Notre lettre 923 publiée le 27 février 2023

LE CARDINAL ARTHUR ROCHE
PREFET DU CULTE DIVIN
" LA LOI C'EST MOI !"

AUX RACINES DE L'OPPOSITION
AUX OEUVRES DE PAIX DE BENOIT XVI


Nous présentons ci-dessous la traduction d’une réflexion de James Baresel, journaliste free-lance, pour le site américain catholiworldreport.com.

James Baresel, qui a fait des études de philosophie à l’université de Steubenville, collabore à de nombreuses revues et sites anglophones de premier plan spécialisés dans l’histoire, la critique littéraire, la liturgie et l’actualité catholique. Parmi ces derniers, on peut citer Public Discourse, One Peter Five, le Catholic Herald, Adoremus Bulletin et encore Catholic World Report dont le texte ci-dessous est tiré.

Cette réflexion a été publiée en anglais le 13 février dernier ; avant, donc, l’affaire du rescrit par lequel le pape François approuvait l’interprétation du cardinal Arthur Roche au sujet de la réserve des dispenses accordées par rapport aux dispositions de Traditionis custodes. Pour autant il conserve son intérêt en montrant le « fonctionnement » du cardinal Roche qui passe outre la loi quand elle ne lui convient pas, et l’applique sans merci quand elle sert son projet de « rupture » avec la théologie traditionnelle de la messe.


Peu après la publication de Summorum Pontificum par Benoît XVI en 2007, celui qui était alors l’évêque de Leeds (Angleterre) a fait paraître une « interprétation » visant autant que faire se peut à vider le Motu proprio de son sens et à faire obstacle à sa mise en œuvre. Citons quelques exemples :


– Elle affirmait avec insistance que les curés de paroisse ne pourraient introduire la messe tridentine que si un « groupe stable » de leurs fidèles, issus de leur propre paroisse et non de diverses parties du diocèse, en ferait la demande.

– Elle affirmait que l’évêque avait autorité pour déterminer si un prêtre était « idoine » pour célébrer la Messe tridentine.

– Elle laissait fortement entendre que le « groupe stable » devait être composé de personnes assistant déjà à la Messe tridentine, plutôt que de personnes souhaitant commencer à y assister.

– Elle laissait fortement entendre que les prêtres ne seraient pas autorisés à « biner » (célébrer deux messes un jour de semaine) si l’une de ces messes était célébrée selon le Missel tridentin.


Cet évêque faisait sans aucun doute partie de ceux que le secrétaire de la Congrégation pour le culte divin avait à l’esprit au moment où il dénonçait « les documents interprétatifs qui visent inexplicablement à limiter le Motu Proprio du pape » ; il soulignait que ces évêques se laissaient « utiliser comme des instruments du diable ».

L’instruction vaticane Universae Ecclesiae a par la suite corrigé les deux premiers points, en déclarant qu’un « cœtus peut aussi se composer de personnes issues de paroisses ou de diocèses différents qui se retrouvent à cette fin dans une église paroissiale donnée, un oratoire ou une chapelle », que « tout prêtre qui n’est pas empêché par le droit canonique, doit être considéré comme idoine à la célébration de la Sainte Messe dans la forme extraordinaire » et que « la faculté de célébrer la Messe sine populo (ou avec la participation du seul ministre) dans la forme extraordinaire du rite romain est donnée par le Motu Proprio à tout prêtre [...] ». Les prêtres, par disposition du Motu proprio Summorum Pontificum, « n’ont donc besoin d’aucun permis spécial de leurs Ordinaire ou de leur supérieur ». Pour les messes publiques il faudrait certes la permission des curés de paroisse et des recteurs de sanctuaire, etc., mais pas celle de l’évêque diocésain.

En outre, le cardinal Dario Castrillon Hoyos – qui était chargé de la supervision du recours à la Messe tridentine en tant que président de la Commission Ecclesia Dei, et qui connaissait certainement les intentions de Benoît XVI – a officieusement corrigé le point n° 3 lors d’une conférence de presse, en déclarant que « le Saint-Père est disposé à offrir cette possibilité à tous, et non pas seulement aux quelques groupes qui le demandent, afin que tout le monde connaisse cette façon de célébrer l’Eucharistie dans l’Église catholique ».

Quatorze ans plus tard, la Latin Mass Society d’Angleterre et du Pays de Galles a publié une interprétation canonique de Traditionis Custodes. De deux choses l’une : soit cette interprétation est juridiquement correcte, soit elle interprète le Motu proprio de manière erronée en le vidant quasiment de son sens, de la même manière que l’ancien évêque de Leeds avait interprété de manière erronée Summorum Pontificum. Il n’a fallu que peu de mois pour que le préfet de la Congrégation pour le culte divin écrive au cardinal Vincent Nichols, archevêque de Westminster, pour condamner l’interprétation de la Latin Mass Society, jugée contraire aux intentions du pape.

Cela peut paraître fort bien, beau et cohérent. Mais il y a un tout petit problème. En 2007, l’évêque de Leeds se trouvait être Arthur Roche. En 2021, le Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements était le même Arthur Roche. On ne sera guère surpris par ce « deux poids deux mesures » désormais érigé en norme, mais la question ne s’arrête pas là.

Ainsi que l’a récemment analysé le canoniste J.D. Flynn dans The Pillar, Arthur Roche – désormais cardinal – a contacté au moins un évêque pour souligner que la dispense des dispositions de Traditionis Custodes au bénéfice des paroisses est réservée au Saint-Siège, bien que cette prétention ne figure pas dans le Motu proprio, et bien que, selon le droit canonique, les évêques disposent de ce pouvoir de dispense à moins que la loi régissant une question particulière ne dispose explicitement le contraire.

De quelque manière qu’on le considère, il s’agit d’un problème grave. Comme le montrent clairement les faits passés, il n’y a que deux possibilités. Soit on ne peut en aucun cas compter sur Roche pour comprendre avec précision un document juridique de l’Église ou les intentions d’un pape, soit il a délibérément sapé la loi d’un pape donné afin d’imposer des restrictions sur la Messe tridentine, en exigeant maintenant une ferme adhésion à la loi d’un autre pape afin d’atteindre le même objectif.

Il existe un problème encore plus grand (que j’ai analysé en détail dans un article pour Inside the Vatican l’année dernière) : le cardinal Roche a explicitement soutenu que le Missel de Paul VI est fondé sur une théologie incompatible avec celle de la Messe tridentine – en d’autres termes, il a plaidé pour « l’herméneutique de la rupture ». Sur cette base, il considère qu’« accepter Vatican II et le Missel de Paul VI » implique de favoriser l’élimination de la Messe tridentine.

Cela entraîne cette conséquence évidente : la plupart des catholiques qui assistent à la Messe tridentine acceptent ces deux points fondamentaux qu’exige la théologie de l’Église : 1) le Missel de Paul VI est un rite authentique et légitime de l’Église et il est en accord avec la doctrine catholique, tout comme l’appel du Concile à des changements dans la discipline liturgique ; 2) il s’agissait de décisions purement disciplinaires, qui n’étaient nullement exigées par la théologie catholique, ne pouvant être justifiées que par des raisons de prudence pastorale, et qui pouvaient, dans le principe, être entièrement révoquées.

Selon la logique du cardinal Roche, de tels catholiques « rejettent le Missel de Paul VI » et doivent se voir refuser la permission d’avoir recours à la Messe tridentine, ou l’obtenir seulement s’ils sont en même temps « catéchisés » en vue de préférer la messe de Paul VI (ce qui est aussi absurde que de vouloir « catéchiser » un Dominicain pour qu’il préfère la spiritualité des Franciscains, ou un Jésuite pour qu’il préfère celle des Bénédictins). Le même raisonnement explique pourquoi sa réponse de décembre 2021 aux Dubia contredit le Canon 212, dans la mesure où cette réponse insiste pour dire que les hommes ordonnés à la prêtrise postérieurement à la publication de Traditionis Custodes doivent suivre activement la loi du Pape François plutôt que de conserver leur droit de favoriser la révocation.

Il est temps de reconnaître que le « deux poids deux mesures » concernant l’obéissance et la croyance en l’herméneutique de la rupture ont été au premier plan tout au long de l’histoire de la « réforme » liturgique. Le vingtième siècle fut tôt marqué par l’introduction sans autorisation de la messe dialoguée (où l’assemblée fait les réponses), l’utilisation des langues vernaculaires et la messe face au peuple. À l’époque, l’archevêque allemand Conrad Grober avertissait que ceux qui mettaient en place la Messe dialoguée ne souhaitaient pas seulement la liberté pour les catholiques qui prient mieux de cette façon, mais cherchaient à l’imposer.

Au cours des années 1950, Annibale Bugnini dissimulait à Rome nombre d’abus liturgiques afin qu’ils puissent être popularisés et finalement homologués. Moins de deux décennies plus tard, il obtenait leur approbation et imposait qu’on s’y conforme. Les lecteurs connaissent peut-être le récit du père Louis Bouyer, qui explique comment le pape Paul VI et les membres de la commission chargée de la réforme liturgique ont fait front commun contre certaines propositions de Bugnini, et comment Bugnini les a fait passer en disant au pape qu’elles correspondaient à ce que voulait la commission, tout en disant aux membres de la commission qu’elles correspondaient à ce que voulait le pape.

On sait moins que le pape Paul VI insistait sur le caractère purement disciplinaire de sa réforme liturgique, affirmant qu’elle était motivée par des considérations pastorales, tout en étant fondée sur la même théologie que la messe tridentine. Mais Bugnini, lui, avait l’intention de changer de théologie à travers une « herméneutique de la rupture ».

Deux points doivent être sérieusement analysés par les spécialistes de théologie morale et les canonistes. Premièrement : que peut-on faire – et quelle désobéissance est-elle justifiée – face à des supérieurs qui désobéissent et violent la loi jusqu’au moment où ils peuvent utiliser la loi et l’obéissance au service de leurs objectifs ? Deuxièmement : pour qu’une loi soit contraignante, elle doit être rationnelle et juste.

Mais une loi fondée sur l’herméneutique de la rupture et destinée à la faire respecter a manifestement un but injuste et irrationnel. Quelle obéissance doit-on dans de telles circonstances ?

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