Notre lettre 914 publiée le 16 janvier 2023

SOEUR ALBERTINE DEBACKER
UNE INFLUENCEUSE RELIGIEUSE ?

Après le père Jasseron à Joigny qui multiplie provocations et contre-vérités, négation de l’Enfer, affirmation que l’homosexualité n’est pas un péché – au point que des fidèles ont lancé un site, perematthieu.com pour remettre l’Eglise au milieu du village, c’est maintenant une religieuse du Chemin Neuf, à Lyon, qui est la coqueluche des réseaux sociaux et des pseudos-médias catholiques pour affirmer, notamment, que l’Eglise est misogyne, pas assez accueillante pour les LGBT, trop prosélyte, et qu’elle serait meilleure avec des responsables féminines, elle par exemple…


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Des milliers de followers. Combien de convertis ?


Considérée par certains comme le héraut de l’évangélisation sur TikTok, sœur Albertine Debacker n’est pourtant religieuse… que depuis janvier 2020, au Chemin neuf, à Lyon. Après un bac scientifique à Compiègne, des études à l’école de l’expertise comptable et de l’audit (ENOES) de 2014 à 2017 – il s’agit d’une école de commerce, puis un diplôme supérieur de comptabilité et de gestion dans la même école (2017-19) – pour encore 7500 €, elle travaille comme auditrice à Crowe (Levallois-Perret) en 2017-18 puis au département financier de Smart Wood l’année suivante, avant de rejoindre le Chemin Neuf… auquel la relie aussi son service civique en 2013-14 pour organiser un festival, Welcome to paradise… que le Chemin neuf organise chaque année depuis 1993.

Elle explique elle-même sa conversion dans les médias – un récit concis, mais vide, qui va bien au néant mondialisé de TikTok : « Albertine Debacker est originaire de Lille et a grandi dans une famille chrétienne. Si rien ne la prédestinait à cette voie religieuse, elle a un déclic, il y a plus de 10 ans. « En fait, je suis tombée amoureuse de Dieu tout simplement. J’ai compris qu’il y avait une relation personnelle, ce n’était pas juste un truc pour occuper les vieux le dimanche matin », détaille-t-elle dans une vidéo ».

Elle a commencé à faire des vidéos sur les réseaux sociaux en septembre 2021, lorsqu’elle a été nommée aumônière de lycée à Lyon : « en septembre 2021, je suis arrivée à Lyon dans un lycée et je me suis demandé comment parler aux jeunes. L’année d’avant, je vivais en abbaye et je n’avais pas de téléphone portable. Je n’avais plus du tout les codes?! Une affiche sur les murs de l’école, personne ne la regarde et tout le monde s’en fout. Assez vite j’ai remarqué que la solution face caméra marchait bien. Là où ça a vraiment démarré, c’est quand j’ai sorti la vidéo « Une bonne sœur, à quoi ça sert?? »

Aumônière du lycée Sainte-Marie en semaine, elle bénéficie d’une forte visibilité médiatique – une équipe de TF1 l’a même suivie pour un sujet du JT – en regard avec une certaine notoriété sur les réseaux sociaux : « chaque semaine, sur TikTok ou Instagram, celle qui veut “rejoindre les jeunes là où ils sont”, parle avec les codes de sa communauté pour répondre aux questions diverses et variées sur sa vocation et son quotidien pas comme les autres […] Avec  57.000 abonnés sur TikTok, et plus de 35.000 sur Instagram, on peut dire qu’elle a trouvé son public, qui n’est pas forcément catho d’ailleurs, ce dont elle se réjouit », s’extasie Aleteia, laissant de côté tout esprit critique.

Cependant ce feu de paille médiatique cache (mal) un très faible engouement réel. Ainsi, sur le site Tipee qui lui permet de récolter des dons pour financer son matériel et ses vidéos, il n’y a pas foule… trois tipeurs qui apportent…75€ par mois. Quant aux commentaires sur un forum de jeunes parmi les plus connus en France, JVC, ils ne lui sont que très peu favorables – le caractère hétérodoxe de ses messages est très vite percé à jour.


Le féminisme comme priorité


Dans plusieurs vidéos, sœur Debacker partage largement ses opinions féministes – et comme elles entrent en résonnance avec la propagande médiatique, la moindre de ses sorties sur le sujet est assurée d’avoir un fort retentissement médiatique, accentuant l’effet de loupe médiatique.

Mais aussi les algorithmes de la plupart des réseaux sociaux, qui, sous couvert de placer leurs utilisateurs dans des « espace safe » [sécurisés] ne leur dispensent que des contenus proches de ceux qu’ils apprécient, ou avec lesquels la doxa médiatique est d’accord. Adieu l’esprit critique, vive la vente « d’espace de cerveau disponible ». Un contenu proche de la doxa médiatique a plus de chance d’être mis en avant et d’accumuler des « like » sur les réseaux sociaux, mais reflète-t-il une réelle popularité ? Il est permis d’en douter…

Pour bénéficier d’encore plus d’éclairage médiatique, donc de nouveaux suiveurs qui donneront lieu à de nouveaux articles – et accessoirement à une meilleure monétisation des vidéos sur les plateformes, il faut à sœur Debacker, comme à son alter ego masculin le père Jasseron, multiplier les provocations et les hérésies.

Dans une vidéo intitulée « hiérarchie des sexes », parue sur TikTok le 22 octobre 2022 : « Nous vivons dans une société aux origines patriarcales qui reposent sur la hiérarchie des sexes. Les conséquences sont aujourd’hui encore très présentes et en particulier dans l’Eglise […] que l’exercice des responsabilités et la prédication soient encore aussi liés à l’ordination et donc au sexe me semble tout simple aberrant »

Et, plus loin, elle dit : « l’erreur c’est de croire que le sexe ce n’est pas bon, c’est péché et on sera plus proche de Dieu sans. Alors ça c’est non, non, non ! C’est Dieu qui a créé le sexe et tout ce qu’il crée est bon et beau […] ça demande un peu plus de créativité pour apprendre à se faire plaisir de manière chaste. Ça peut paraître carrément difficile voire même inhumain mais moi je peux vous dire que je suis heureuse de pouvoir me donner de cette manière ».

Sur le féminisme intra-institution catholique, dans son entretien à la Tribune de Lyon : « Ça ne me parlait pas, pour moi, la religion allait mourir avec la génération de ma grand-mère?! Il y a eu un moment de conversion, où cette foi est devenue personnelle et importante. J’ai flippé en me confrontant à tous mes a priori sur la vie consacrée : une religieuse, ça ne sert à rien, et elle est souvent moche, vieille, cloîtrée… Et puis avec la place de la femme dans l’Église, je me disais que ma vie n’allait servir qu’à repasser les chemises des prêtres et ça, c’était hors de question ».

Sœur Albertine aspire au sacerdoce et aux responsabilités, et ça se voit : « Il y a déjà un gros chapitre autour de la gouvernance : ouvrir les postes à responsabilité, au Vatican par exemple, pour les femmes. Pour moi, c’est la première étape, qui doit se faire très rapidement ». Quitte à prendre des libertés avec la vérité.

Ainsi, elle assène dans la Tribune de Lyon : « Tout est lié à la question de la place du prêtre, qui ne peut être qu’un homme aujourd’hui. Et pour avoir de l’autorité et une place dans la gouvernance, il faut être prêtre. Ça n’a aucun sens, même sur le plan théologique, et ça crée une structure malsaine. Le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, NDLR) en parle de manière très claire : beaucoup d’abus, pas forcément sexuels mais aussi des abus de pouvoir, sont liés à cela. Il n’y a pas une institution qui soit aussi misogyne en 2023 et ça ne choque personne?! C’est aberrant ».

Sauf que la Ciase, dans son rapport, avait établi une typologie des auteurs d’abus sexuels, et publié en miroir des témoignages anonymisés de victimes, y compris un témoignage rare de viol lesbien : « A partir de la page 205, la CIASE dresse une typologie des prêtres auteurs des abus sexuels que la commission a pu interroger. Page 207, une précision capitale : « un peu plus de la moitié des prêtres interrogés se déclarent homosexuels, certains d’entre eux indiquant avoir eu des relations avec des adultes de leur âge, avant ou après l’ordination ». Page 210, nouvelle précision en bas de page : « dans près de la moitié des cas, les agresseurs sexuels de mineurs se déclarent homosexuels (plus de 80% chez ceux qui agressent des victimes de sexe masculin) ».

Paix Liturgique (lettre 899) analyse ces chiffres : « [les victimes], par définition, sont aussi des hommes – même si quelques témoignages reçus par la Ciase mentionnent aussi des abus dans des congrégations religieuses féminines sur des pensionnaires elles aussi féminines – l’on reste dans une problématique d’homosexualité – de lesbianisme plutôt, encore plus ignoré délibérément que l’homosexualité masculine.

La Ciase elle-même mentionnait dans son rapport (page 122) que le caractère « le plus souvent homosexuel » des viols était un obstacle à la libération de la parole des victimes ».


Elle n’a « pas honte » d’être chrétienne, mais refuse le prosélytisme


Si sœur Debacker a bien retenu de ses études de finances que n’importe quel discours commercial peut être d’autant mieux gobé qu’il est répercuté, répété, et asséné avec convictions, pour la cohérence, il faudra repasser.

Dans une de ses vidéos parues sur Instagram début novembre, elle affirme : « Le regard face à la caméra, elle parle ainsi de la croix qu’elle porte en pendentif : "J’aime porter cette croix qui dit mon identité de fille de Dieu." Et elle interpelle ses abonnés : "Mais comment veux-tu que les gens croient au fait que l’on annonce une bonne nouvelle si nous-même on a honte d’être appelés chrétiens ? […]La première chose que t’apprend quand t’es catho c’est d’être sage à la messe, c’est tout bête mais je crois que c’est révélateur. On ne nous apprend pas à être des témoins passionnés de Dieu mais à être des personnes gentilles et polies.

Et néanmoins, dans la Tribune de Lyon, elle refuse tout prosélytisme : « Moi, je partage juste ma joie d’être chrétienne et si quelqu’un n’a pas envie de m’écouter, il peut s’en aller. Je ne suis pas du tout inquiète à ce sujet. Mon angle d’attaque, ce n’est pas de faire des convertis. [...] Le but est davantage de donner accès à une connaissance sur la religion. Pour moi, ce n’est pas du prosélytisme dans la mesure où ça n’est pas l’objectif premier ».

Rebelote dans ses vœux : « En 2023 […] le christianisme ne sera plus une affirmation identitaire qui renferme sur soi, mais une relation intime avec Dieu […] tout cela c’est ma prière, et il ne faut pas croire que cela va se faire en gueulant sur les évêques (enfin pas que) ».

Dans la Tribune de Lyon encore : « Mes engagements sociétaux ou politiques nourrissent ma foi. Tout ce qui touche à l’injustice me parle beaucoup, l’exclusion des personnes handicapées, des homosexuels…  Je suis révoltée quand je reçois le message d’un couple de lesbiennes à qui on refuse le baptême de leur enfant »

Dans ses quatre priorités pour l’Eglise en 2023 – fermeté de ton, storytelling, punchlines et autres recettes de marketing sont de rigueur, surtout si on dit une hérésie à la seconde : « nous avons de nombreux défis devant nous, comme l’accueil de la communauté LGBT ou des migrants […] en 2023 nous allons comme Jésus le faisait marcher avec les gens de notre temps et casser les barrières des préjugés ».


Carte blanche de la part du Chemin Neuf


Pratiquant largement le lobbying – le Chemin Neuf a ainsi casé deux de ses représentants parmi les sept jeunes choisis par la CEF pour être envoyés au « pré-synode des jeunes » en 2018, un de ses représentants à la tête du service national pour l’Unité des Chrétiens, le père Miguel Desjardins, en 2021 à la CEF, le Chemin Neuf reste une communauté numériquement faible, avec 2000 membres dans 30 pays en 2020. Cependant, avec 3 à 5 ordinations de prêtres par an (4 en 2022, et encore cinq diacres), le Chemin neuf égale les quelques diocèses les plus productifs, comme Toulon, Vannes ou Versailles.

Néanmoins, 16 paroisses – y compris des unités importantes, en ville, comme Saint-Donatien à Nantes ou Saint-Denis de la Chapelle à Paris – lui ont été confiées, ainsi que 17 foyers étudiants en France – l’on constatera que pour le Chemin Neuf, la Guadeloupe et la Réunion sont à l’étranger – sept abbayes – dont celle de Hautecombe, lieu majeur de la communauté, ou encore 12 maisons d’accueil, très souvent des couvents que leurs ordres ne parvenaient plus à faire vivre après un demi-siècle de « printemps conciliaire », comme la Trappe de Melleray, en Bretagne, ou des biens diocésains.

A la tribune de Lyon, Sœur Albertine explique être soutenue par sa communauté : « On a même plutôt peur de mettre une seule personne sur le devant de la scène et de verser dans la “starification”. Moi la première?! Ma parole engage la communauté, que je le veuille ou non. Il n’y a pas de vérification mais quand j’ai un doute sur un sujet un peu plus touchy, je leur envoie avant publication [...] C’est moi qui choisis 100?% de mes sujets, et c’est 100?% mon avis. Je n’ai pas d’équipe derrière et j’ai carte blanche de ma communauté, qui me fait confiance ».

En septembre dernier, pour BFM, elle affirmait ne presque pas être contrôlée : « Sa communauté religieuse est en tout cas bien au fait de ses publications sur les réseaux sociaux. "Ils ne surveillent pas toutes les vidéos, je ne leur envoie pas avant de la publier. Ils me font quand même confiance", tient-elle à préciser. (...) Ils se réjouissent, ils encouragent, ils m'accompagnent ». 

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