Notre lettre 890 publiée le 14 octobre 2022

LE RAPPORT DE LA CIASE A UN AN

UN ANNIVERSAIRE QUE CERTAINS AIMERAIENT OUBLIER

Le 5 octobre 2021, la sphère catholique – mais aussi les médias – étaient secoués par la déflagration du rapport de la CIASE sur les abus sexuels du clergé, depuis 1946 jusqu’à aujourd’hui, et le chiffre, toujours décrié, de 330.000 victimes. Un an plus tard, à part quelques maigres articles dans La Croix, rien du tout, ou quasi. Les évêques de la France, à l’exception de celui de Rouen interrogé par la presse locale, sont d’une discrétion de violette. Et surtout Mgr Crépy, qui n’est pas seulement évêque de Versailles, mais aussi responsable au sein de la CEF sur la question des abus sexuels du clergé, et portant le titre ronflant du président du conseil de prévention et de lutte contre la pédocriminalité dans l’Eglise.

Car dans les faits, alors que les diocèses ont annoncé mobiliser jusqu’à 20 millions d’euros pour les indemnités, accélérant la dilapidation des biens acquis par des générations de fidèles et de prélats bâtisseurs, les catholiques pourraient poser quelques questions dérangeantes.

D’autant que les ventes de certains biens diocésains sont annoncée pour payer la contribution de tel ou autre diocèse au fonds SELAM – qui collecte les contributions diocésaines pour verser les indemnités aux victimes, plafonnées à 60.000 euros par dossier -, mais ont en réalité un tout autre objet.

Ainsi du diocèse d’Arras, qui indique vendre l’évêché, 4-6 rue des Fours pour payer sa contribution – qui oublie de préciser que ladite bâtisse n’est plus occupée que par l’évêque, son secrétaire, le vicaire général et la chancellerie – et qu’un accord de promotion a été signé à la fois pour valoriser ce bâtiment et relocaliser l’évêque et la chancellerie dans une aile de la maison diocésaine, actuellement en travaux – celle qui est parallèle à la rue Sainte-Claire.

Du reste, compte tenu de l’imposante liste des biens en possession du diocèse d’Arras en 1989 et de la liste non moins importante de ceux qui ont été vendus, le diocèse d’Arras n’a pas attendu la CIASE pour dilapider ses biens, dizaines de maisons, terrains, églises d’anciennes cités minières et autres salles paroissiales.


330.000 victimes annoncées… mais 1500 demandes d’indemnisations

Ainsi, si le rapport CIASE claironnait 330.000 victimes – attirant sur lui les critiques, et même une réponse dans un ouvrage écrit par l’abbé Michel Viot sur ce qu’il estimait être une « manipulation », il n’y a eu que 1500 demandes d’indemnisation… sur lesquelles, un an après, à peine 40 ont été satisfaites, d’après Jean-Marc Sauvé lui-même. Près de 1000 sont traitées par l’INIRR (victimes dans les diocèses et les institutions qui en dépendent, écoles, scoutisme etc.), 500 autres par la CRR (victimes dans les congrégations religieuses). Respectivement, 25 indemnités ont été versées par les diocèses (INIRR) et 15 par les congrégations religieuses.

Dans le détail, « L'Inirr a indiqué que sur 1004 demandes enregistrées depuis le début de l'année, seules 60 décisions avaient été rendues, dont 45 avec un volet financier, pour des montants allant de 8000 à 60.000 euros, le maximum. Côté CRR, sur 400 dossiers relevant de sa compétence, "au moins 15 victimes ont été payées par les congrégations religieuses", dont 4 portent sur la tranche 50.000-60.000 euros ».

C’est peu. Et ce, même si les cellules d’écoute ont enregistré des dizaines de nouveaux témoignages suite au rapport de la CIASE – et que des congrégations ont reconnu des cas de masse, notamment à Issé (Loire-Atlantique), Loctudy et en Vendée pour les frères enseignants de Saint-Gabriel – il faut dire que plus d’une vingtaine de victimes sont encore en vie.


Pour les victimes réelles, quelques diocèses seulement ont pris le problème à bras le corps

Quelques rares diocèses ont pris le problème à bras le corps. Certains d’ailleurs, comme celui de La Rochelle, n’avaient pas attendu le rapport de la CIASE pour retirer tout ministère aux membres du clergé qui ont chu, qu’ils aient ou non été condamnés par la justice. Dans le diocèse d’Orléans, en pointe contre les affaires d’abus, deux prêtres abuseurs, dont un condamné par la justice, ont écrit au Vatican pour demander leur renonciation à l’état clérical – qu’ils ont obtenue.

Peu avant la date anniversaire du rapport de la Ciase, une campagne de presse dans plusieurs médias chrétiens plutôt de gauche (dont La Vie et La Croix) s’est abattue sur la FSSPX, coupable à leurs yeux de protéger des auteurs d’abus sexuels – reconnus – dans une mission au Gabon. Les deux médias, qui ont repris le témoignage d’une victime dans Jeune Afrique, oublient de préciser que les faits sont prescrits et hors de compétence de la justice française ; les deux auteurs soupçonnés sont âgés, gravement malades et de nationalité française – il est donc fort peu probable qu’ils soient un jour extradés au Gabon pour y être jugés.

Néanmoins la FSSPX a reconnu avoir retiré tout ministère aux deux prêtres concernés, qui ne peuvent plus non plus célébrer de messe publique ou être en contact avec des enfants – Lourdes est une des rares implantations de la FSSPX en France qui n’a pas d’école et d’activités de jeunesse.

Ce qui tranche avec l’attitude du diocèse de Tarbes et Lourdes qui ne fait rien ou quasi pour prendre le problème des abus à bras le corps. Le cas de la fausse abbaye de Tarasteix – qui fait finalement l’objet d’une poussive enquête par la justice locale, bien qu’il y ait au moins une plainte dans ce dossier qui s’étale sur quarante ans – est symptomatique.

Tandis que la gendarmerie, qui instruit le dossier, s’évertue à ne pas poser de questions aux victimes auditionnées sur les abus qu’elles ont subis, et a retardé jusqu’à aujourd’hui l’audition d’un enquêteur privé local, qui dispose de toutes les pièces du dossier et de nombreux enregistrements de victimes qui décrivent les abus qu’elles ont subis, ou de proches du clerc mis en cause qui témoignent de leur connaissance des abus qu’il a pratiqués, le diocèse se retranche derrière le fait que le mis en cause a rejoint une Eglise schismatique pour se déclarer incompétent.

Le diocèse de Tarbes Lourdes n’est pas le seul à dormir sur ses deux oreilles en attendant que cela passe. Malgré des tags tout autour d’un lycée catholique de Nantes l’an dernier, à plusieurs reprises, puis d’autres, dévoilant le nom des auteurs et mettant en cause l’évêque, auxquels il a répondu par communiqué, l’affaire du lycée Saint-Stanislas de Nantes ne bouge pas non plus. Idem en Avignon où malgré plusieurs victimes au collège des Jésuites d’Avignon, autour du début 1960, le diocèse ne semble pas pressé de faire auditionner celles-ci par sa cellule d’écoute ou de lancer un appel à témoignages.


L’affaire Ribes, Mgr Crépy et les archives qui s’évaporent

Entre temps, fin janvier 2022, à peine Mgr Kerimel parti de Grenoble – où il a semé la guerre liturgique que récoltera Mgr Eychenne – pour Toulouse – éclate l’affaire Ribes, du nom de ce prêtre non ouvrier, mais prêtre-artiste des années 1960-1990, qui faisait poser des enfants nus pour ses œuvres, et s’avère avoir multiplié les victimes entre les trois diocèses de Grenoble, Vienne et Lyon – près de 70 recensées à ce jour.

La gestion de cette affaire est un résumé de ce qu’il ne faut pas faire – et que les diocèses font quand même. Mgr Kerimel, évêque de Grenoble, qui a liquidé la zone inter-pastorale de Vienne en 2006 – sa relative indépendance a permis à Mgr Mondesert, son unique responsable, de ne dépendre d’aucune autorité, et à l’abbé Ribes qui y était attaché, de bénéficier d’une grande liberté – n’a pas voulu entendre parler de l’affaire avant son départ.

Aux familles des victimes, on a expliqué que les archives de l’abbé Ribes ont été brûlées en 1994, y compris les photos et les dessins de ses jeunes victimes, nues : circulez, il n’y a (plus) rien à voir ! Quant à l’administrateur provisoire du diocèse de Grenoble, l’abbé Lagadec, il a pris le parti d’opposer un silence obtus à toutes les demandes des victimes, et de ne plus répondre à personne. Quant au séminaire des aînés de Vienne-Estressin, où vivait et officiait l’abbé Ribes, il a été déménagé.

En réalité cette affaire a dû rappeler des souvenirs à Mgr Crépy – qui est, rappelons le, responsable de la CEF en charge de la problématique des abus sexuels. En 2001-2007, il était provincial de France des Eudistes, spécialisés dans l’encadrement des séminaires. Auparavant, de 1995 à 2001, il était recteur du séminaire interdiocésain d’Orléans. Luc Crépy explique lui-même le processus de la fermeture du séminaire des aînés de Vienne-Estressin, qu’il a manifestement bien suivie, dans une brochure intitulée « Devenir prêtre lorsqu’on n’a pas le bac », parue en 2007 : « En 2003, ils ne sont plus que six. Comment alors maintenir une équipe de quatre formateurs et équilibrer un budget ? Comment faire vivre une si petite communauté ? Diverses possibilités sont étudiées. Devant le souhait pressant de plusieurs évêques et de responsables des vocations de maintenir une telle proposition, Mgr Dufaux, alors évêque de Grenoble, fait la demande aux évêques fondateurs du séminaire interdiocésain d’Orléans d’accueillir le séminaire d’aînés. Il se trouve que les eudistes ont en charge les deux séminaires… La décision est prise. En septembre 2003, le dernier séminaire d’aînés de France change d’adresse et continue sa mission à Orléans. Il y prend le nom de « Communauté Notre-Dame du Chemin » (CNDC), un nom évocateur pour l’itinéraire proposé… […]Dans la suite du séminaire d’aînés de Vienne, la communauté Notre-Dame du Chemin essaie d’offrir en une année scolaire les moyens permettant à des jeunes adultes de vérifier leur capacité à entrer au séminaire, alors qu’ils ont suivi peu d’études »

Cependant, le séminaire de Vienne déménage avec sa légende noire. Dès la seconde moitié des années 2000, le clergé orléanais sait, par des indiscrétions, que le séminaire de Vienne a connu de nombreux problèmes d’homosexualité, et que les séminaristes qui ne chutaient pas étaient réputés ne pas avoir la vocation. Pis, que certains de ses enseignants historiques ont abusé d’enfants. Le déménagement du séminaire – avec ses archives, longtemps stockées dans le grenier d’un bâtiment diocésain à demi-abandonné, non loin de la cathédrale ? – débarrassait aussi le diocèse de Grenoble d’un pénible passé qui ne devait pas ressurgir.

Du coup, voici aujourd’hui Mgr Crépy, assurément l’un des mieux informés sur le séminaire des aînés de Vienne-Estressin, en charge de faire toute la lumière sur les affaires gravissimes dont ce lieu a été le théâtre. Une affaire de plus pour lui à régler.

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