Notre lettre 787 publiée le 8 mars 2021

PRESENTATION DU CATHOLICISME AUX ETATS-UNIS DES ORIGINES A LA VEILLE DU CONCILE DE VATICAN II

SECOND VOLET DE NOTRE ENQUETE SUR LA TRADITION CATHOLIQUE AUX ETATS-UNIS

Nous présentons dans ce second volet de notre enquête une esquisse de la typologie du catholicisme américain et un survol de l’histoire de la réaction traditionnelle à la tempête qui a suivi le dernier concile. Une nouvelle fois nous remercions notre ami Daniel Hamiche de nous avoir permit de vous présenter ce vaste panorama. 



Paix Liturgique – L’on présente parfois, en politique du moins, les catholiques américains comme plutôt progressistes. Qu’en pensez-vous ?

Daniel Hamiche – Il faut distinguer. Il était de tradition que les catholiques américains votassent démocrate, le parti des petits, des laissés pour compte. C’est ce qui a expliqué le succès de Kennedy, entre autres. Mais c’était avant l’avortement, la théorie du genre, etc. Encore aujourd’hui bien des familles ouvrières, ou d’extraction ouvrière, se verraient mal voter républicain. Mais il y a un fort décrochage entre les intellectuels et dirigeants du parti démocrate, qui eux sont actuellement très progressistes, voire carrément crypto communistes, et la base catholique en bleu de chauffe. Il faut aussi ajouter à cela un épiscopat, surtout aujourd’hui, qui courtise les élites médiatiques et politiques de gauche en mettant sur un pied d’égalité l’avortement et la peine de mort (la « tunique tissée d’une pièce » du cardinal Bernardin de Chicago dans les années 1980-1990), alors que le gros des fidèles serait plutôt pro vie… Bref, bien des contradictions.


Paix Liturgique – Mais en même temps il semble que les catholiques américains soient religieusement plutôt conservateurs. Qu’en pensez-vous ?

Daniel Hamiche – Eh voilà encore un paradoxe ! Amérique catholique, terre de contrastes… Mais il ne faut tout de même pas majorer ce conservatisme religieux des catholiques américains. Après tout, plus de 90 % d’entre eux pratiquent la contraception, peu d’entre eux hésitent à travailler ou faire leurs courses le dimanche, les jurons profanes fusent assez librement, et inutile de parler de gourmandise dans un pays à 30 % obèse. A quoi se résume ce conservatisme ? Le clergé ici est souvent en vêtement distinctif : le costume de ville gris-eau-de-vaisselle avec petite croix en boutonnière ne s’est jamais implanté aux États-Unis, c’est vrai. Nous avons parlé de la pratique dominicale qui ferait envie à des épiscopats européens, ce qui vaut aussi pour la libéralité américaine à la quête. En général, les prêtres s‘en tiennent plus ou moins aux rubriques et, quand la nouvelle traduction du missel du Novus Ordo, plus fidèle au texte latin, est sortie, tous s’y sont mis, pas toujours de bon gré, mais tout de même. Mais quand tout cela est dit, ce conservatisme américain apparent est proche de l’extrême progressisme de l’Église en Europe occidentale : c’est un effet d’optique, en fait.


Paix Liturgique – Quelle a été la réaction des catholiques américains vis-à-vis du second concile de Vatican II ?

Daniel Hamiche – Au tout début la grande majorité du clergé et des fidèles américains a réagi selon les habitudes ultramontaines (c’est-à-dire très « papiste ») qui avaient, jusque-là, fait la force de l’Église ici : avec une obéissance confiante et absolue dont la naïveté, avec le recul, fait tressaillir. « Si c’est ce que veulent les curés, les évêques, le pape, eh ! bien, on fera ça ».

Tous ont acheté leurs nouveaux missels « tout-en-anglais », convaincus qu’on leur donnait la messe de toujours, mais désormais en vernaculaire. On ressentait évidemment un malaise face aux dérives liturgiques postconciliaires, mais la grande majorité des fidèles avait appris à se taire.

À ce moment-là on peut dénombrer – comme partout en Occident sans doute – trois tendances : certains acceptaient les nouvelles orientations avec enthousiasme, avalant les pires fantaisies liturgiques comme étant représentatives d’une nouvelle façon « d’être Église » ; d’autres continuaient de se taire en se disant intérieurement « Si seulement le pape savait ! » ; d’autres enfin le rejetèrent tout en bloc. On ne saura jamais combien ont cessé la pratique par résistance ou dégoût. Un certain nombre s’est tout bonnement réfugié dans les rites orientaux, très présents aux États-Unis.

Le grand chambardement a surtout été ressenti au niveau de la morale conjugale : les medias ont relayé les ouvertures à la contraception dans les discours sur Gaudium et Spes, lors du Concile ; le clergé, sentant le vent tourner, a opté pour la solution de facilité lors des confessions de femmes mariées, puis le décrochage s’est consommé à la promulgation d’Humanæ vitæ, qui fut promulguée avec au moins cinq ans de retard, car les mauvaises habitudes étaient déjà prises. Dès lors, il devint à la mode de se prévaloir de la suprématie de la « conscience » telle que la promouvait la théologie morale de l’époque, qui se faisait l’écho de la méfiance antiautoritaire dans l’air du temps. La morale de grand-maman, taxée dès lors de « moyenâgeuse », n’était plus de mise.

Une fois ces icones fracassées, un compromis de conscience pépère s’est installé en paroisse : pas de sermons moralisants en chaire, et les pièces continueraient de tinter (ou plutôt les gros billets continueraient de bruisser) dans le panier de la quête…

A noter aussi un certain légalisme : un Américain catholique qui cherche à divorcer se sentira obligé de demander une déclaration de nullité… que les cours ecclésiastiques du pays reçoivent presque toujours avec complaisance, depuis le Concile.


Paix Liturgique – Comment a émergé la résistance traditionnelle ?

Daniel Hamiche – Par rapport aux Européens, les Américains sont arrivés au front très tardivement, comme en 1914 : l’opposition aux autorités ecclésiastiques était impensable au départ. Au tout début, en 1965, il y avait bien un abbé Gommar de Pauw – un Belge émigré, personnalité hors-cadre – qui fonda le Catholic Traditionalist Movement en 1965 et, après avoir cherché à se faire incardiner en Italie (en vain, malgré la bénédiction du cardinal Ottaviani, qui à l’époque dirigeait le Saint-Office) il établit une chapelle indépendante à Long Island, l’Ave Maria Chapel. Ce fut donc un pionnier (sa messe était même diffusée à la radio), mais le réseau des « Independent Priests » ne sera jamais bien nombreux.

Il y en avait ici ou là, qui continuaient de dire la « messe de toujours », mais en marge et sans faire de revendication : l’abbé Trower et le R.P. Frederick Schell à Los Angeles, par exemple, ou encore à Minneapolis Monsignore Richard Schuler qui disait le Novus Ordo Missæ de façon aussi traditionnelle que possible avant de se remettre, plus tard, à la tradition intégrale.

Mais en fait – et il faut remercier Stuart Chessman d’avoir fait le point sur l’historique du mouvement traditionaliste aux États-Unis (1) – les débuts des réseaux de résistance furent surtout intellectuels, académiques. Le très influent professeur John Senior, qui établit un centre d’études « d’humanités intégrées » au sein de l’Université du Kansas en 1970, convertit nombre de jeunes gens – tant catholiques que protestants – à la tradition de l’Église ; d’ailleurs beaucoup prirent la route de Fontgombault. Un en revint pour devenir évêque et très ouvert à la tradition, Mgr Conley de Lincoln, dans le Nebraska ; un autre est prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, l’abbé James Jackson.

Il y eut aussi un chapitre américain d’Una Voce, fondé en septembre 1967. Fait significatif, deux des trois fondateurs (tous laïcs) étaient des Européens, dont le grand théologien Dietrich Von Hildebrand. Au départ Una Voce protestait surtout contre la disparition du latin dans les offices. Nous sommes encore avant le Novus Ordo de 1969. Mais Una Voce USA ne durera pas : le chapitre s’éteignit en 1970…

Quant à la presse, l’aventure de l’hebdomadaire The Wanderer est assez emblématique des lignes de force du catholicisme non progressiste après le Concile. Ce journal, antimaçonnique, anticommuniste et antinazi, fondé par des Allemands à Milwaukee (Wisconsin) en 1867, avait longtemps été la lecture des catholiques de langue allemande dans le Midwest avant de passer (par degrés) à l’anglais dans les années 1950. Sans jamais avoir accordé aux évêques un droit de regard sur leur ligne éditoriale, les éditeurs avaient toujours suivi le magistère de l’Église de Rome. En 1967, il fallait décider : soumission au pape et à ses orientations nouvelles, ou bien résistance caractérisée au nom de la tradition ? Les deux frères Matt, qui avaient hérité du journal, se séparèrent : Alphonse retint la direction du Wanderer, qui prit une ligne classique, alors que Walter alla fonder The Remnant, journal traditionaliste (qui se dénomme lui-même « le phare incontestable du mouvement traditionaliste aux États-Unis »). C’est d’ailleurs au Remnant que Mgr Lefebvre fit appel pour se faire connaître des catholiques américains : il demanda à rencontrer sa direction lors de « l’été chaud » de 1976. Le Wanderer, lui, militera pour le Novus Ordo célébré « comme il faut » et fustigera les scandales d’Église sans jamais dénoncer plus haut que les pires évêques. Le Wanderer sera la bête noire des chancelleries progressistes ; le Remnant leur sera inconnu. Cela résume assez bien les années 70 et 80 : opposition entre ultramontains et progressistes ; traditionalisme quasi invisible. Pour rester juste il ne faudrait pas oublier de citer le magazine Triumph qui fut fondé en 1966 par L. Brent Bozell et qui sut réunir un aéropage des plus brillants dont faisait partie Thomas Molnar et Dietrich Von Hildebrandt, bien connu des lecteurs français. C’est cette revue qui formula la toute première critique détaillée du nouvel Ordo et qui s’intéressa à la défense de la vie. Cependant, s’étant engluée sur la question d’Humanæ vitæ, la revue disparut en 1974.


Paix Liturgique – Comment a été reçu le motu proprio Ecclesia Dei ?

Daniel Hamiche – Au départ, silence épiscopal devant ce document qui bousculait les idées d’un épiscopat acquis à l’idée du « changement radical » (paradigm shift) liturgique inauguré par Vatican II. Les quelques évêques qui répondirent à l’appel à la générosité dès le début sont connus : Mgr Timlin de Scranton, Mgr Chaput de Rapid City, Mgr Tschoepe de Dallas…

Mais il y eut ensuite une croissance, assez lente au départ, du nombre de diocèses où l’usus antiquior était permis. C’était l’époque des fondations, de la préparation de la génération à suivre, des jeunes familles d’où surgiront les vocations sacerdotales et religieuses dont nous bénéficions aujourd’hui.

Il y eut deux moteurs de promotion : l’Internet naissant, bien sûr, mais aussi de revues tel mensuel Latin Mass Magazine, lancé au début des années 1990. Ainsi l’affirmation que l’usus antiquior était permis fit son chemin non seulement chez ceux qui se souvenaient de l’avoir pratiqué mais aussi chez les jeunes générations, y compris des séminaristes.

Il faut dire aussi que la réticence des évêques américains à accorder des lieux de messe fut levée – plus souvent qu’en Europe en tout cas – par leur pragmatisme anglo-saxon : ils constataient, eux aussi, que cette messe du moyen-âge attirait bien des jeunes, et que la quête y était plus généreuse encore que dans les paroisses lambda. C’est ainsi que bien des lieux de messe sont passés de leurs horaires peu pratiques dans des chapelles vétustes de quartiers mal famés, à des lieux et horaires bien plus souriants pour les familles, cette messe ayant fait ses preuves à leurs yeux.


Paix Liturgique – Et le motu proprio Summorum Pontificum ?

Daniel Hamiche – Ce fut la libération, qui confirmait que les espoirs suscités par l’élection de Benoît XVI étaient fondés. Les requêtes de la part les fidèles se multiplièrent et le clergé, en tout cas dans la tranche d’âge postconciliaire, se décomplexa par rapport à ce que l’on pouvait désormais appeler la « forme extraordinaire ». Ce vocable d’ailleurs, malgré ses faiblesses, avait l’avantage d’enlever sa clandestinité à la messe et de lui conférer une légitimité au moins bureaucratique à laquelle les évêques américains, très ronds-de-cuir, étaient sensibles. La « messe de toujours » avait désormais droit de Cité. Le Wanderer, évoqué plus haut, accueillit le motu proprio, ce qui participa à la normalisation de cette messe parmi son lectorat classico-ultramontain. Les administrations des universités privées catholiques « classiques » se montrèrent plus généreuses aussi envers la forme extraordinaire, revenant ainsi un peu à l’optique des fondateurs des années 1970.

Une petite poignée de séminaires proposèrent même un cours de liturgie « option forme extraordinaire ». Mais force est de constater aussi un certain regel ces dernières années ; si l’attachement à la forme extraordinaire ne constitue plus un délit, il est entendu qu’il ne vaut mieux pas qu’un séminariste traditionalisant fasse de prosélytisme parmi ses confrères. Et pourtant, il y en a de plus en plus, de ces séminaristes traditionalisants… Ce chapitre-là est loin d’être clos ! Quant aux instituts Ecclesia Dei, ils s’en sont réjouis, évidemment. D’ailleurs, et peut-être contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la libéralisation de l’usus antiquior n’entrava pas leur croissance.


Paix Liturgique – Quelle est l’attitude des évêques américains face à cette renaissance ? En France l’on dit volontiers qu’ils sont souvent bienveillants, parfois indifférents mais jamais « méchants » ?

Daniel Hamiche – Si la majorité des évêques américains est indifférente et veut bien, par acquis de conscience pastorale, accorder un ou deux lieux de culte aux fidèles qui désirent l’usus antiquior, il y a petit réseau (une bonne vingtaine, disons, sur 178 évêques de rite latin) d’évêques qui pratiquent (par exemple lors d’ordinations pour les instituts Ecclesia Dei) et même encouragent l’ancien rite dans leur clergé en parallèle avec le nouveau (avec un succès mitigé cependant, sauf chez les plus jeunes prêtres) ; l’on songe à Mgr Cordileone, archevêque de San Francisco, à Mgr Sample, archevêque de Portland dans l’Oregon, enfin à Mgr Jugis, évêque de Charlotte en Caroline du Nord. En revanche il serait faux de dire qu’aucun évêque n’est franchement opposé à la messe de toujours : l’un des plus puissants aujourd’hui est connu des traditionalistes pour leur avoir fait des misères dans deux des trois diocèses dont il a pu être l’ordinaire.


Paix Liturgique – Quel est la place des catholiques dans l’important mouvement « pro vie » ?

Daniel Hamiche – Au départ, la résistance aux lois libéralisant l’avortement – dont l’apogée fut la décision de la cour suprême des États-Unis en 1973, le fameux arrêt « Roe versus Wade » – fut presque entièrement le fait des catholiques. À l’époque les protestants les plus fervents (évangéliques et fondamentalistes) avaient fait l’option du repli par rapport à la place publique, et se montraient indifférents à une cause qu’ils estimaient être la chasse gardée des « papistes ». Certains même alléguaient que les Écritures étaient muettes sur les débuts de la vie ! Puis ce fut le réveil des évangéliques (hormis l’establishment protestant entièrement phagocyté par le progressisme bourgeois) qui donna sa victoire électorale au président Ronald Reagan, acquis à la cause, et l’on vit une vague de jeunes évangéliques s’incorporer à un mouvement désormais œcuménique. Mais s’il y a des protestants et des juifs (même des athées, des féministes déclarées) dans le mouvement, il demeure majoritairement catholique.


Dans notre troisième volet nous présenterons un panorama du monde traditionnel américain sur Internet.



(1) http://sthughofcluny.org/2012/02/catholic-traditionalism-in-the-united-states-notes-for-a-history-part-1.html


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