Notre lettre 758 publiée le 18 août 2020

DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS, SUMMORUM PONTIFICUM N'EST PAS ENCORE ARRIVÉ

Le diocèse d'Amiens est marqué par l'histoire - et le déclin - de l'industrie en Picardie. Depuis 30 ans, le Nord pas de Calais et la Picardie ont perdu 43% de leurs emplois industriels – et un quart des salariés actuels ont plus de 50 ans. Historiquement marquée par l’industrie du textile, du caoutchoux (Continental à Amiens), de l’électroménager, mais aussi de la métallurgie, la sacherie (Saint-Frères, dans la vallée de Flixecourt), la teinturerie (Amiens), la serrurerie (Picard) et la robineterrie (Favi, THG) dans le Vimeu, et de la plasturgie, la Somme a été après-guerre un important foyer communiste, avec l’influence déterminante de Maxime Gremetz, notamment au sein clergé qui dans le diocèse a été très profondément marqué par le communisme.

La Picardie est aussi, du fait de la déprise industrielle, touchée de plein fouet par la précarité : 15.5% de la population est sous le seuil de pauvreté en 2011 (17% dans la Somme – autant en 2018), 37% des familles monoparentales de la Somme sont sous le seuil de pauvreté. Un jeune picard sur quatre (23%) est pauvre (25% dans la Somme, 28.5% dans l’Aisne). En 2018, aucune évolution si ce n’est vers le pire : l’Aisne, voisin de la Somme, établit même le record d’illettrisme chez les jeunes en France métropolitaine, avec 6.9%. Il y avait dans la Somme en 2017 30% d’inactifs, et presque 16% de chômeurs.

Nombre d’églises de Somme sont quasiment désaffectées de fait – à Abbeville deux sont utilisées sur six (dont une qui appartient à un lycée) et une (Saint-Jacques) a été démolie, à Amiens, quelques unes sur l’ensemble des lieux de culte de la ville ; l’église Saint-Germain, désaffectée en janvier dernier, est en attente d’une coûteuse restauration que la crise post-Covid rend plus illusoire encore. Onze églises du département sont qualifiées « en péril » sur l’inventaire du blog le Pèlerin, notamment les églises Saint-Firmin (fermée en 2005, sécurisée en 2018 et qu’il est prévu de rattacher au zoo adjacent) et Sainte-Anne d’Amiens. Nous avons demandé à Firmin Fuscien de nous parler des prêtres et des fidèles d’Amiens et de toute la Somme attachés à la Tradition  qui ont  longtemps été  persécuté dans  ce diocèse.


Louis Renaudin - Cher Firmin, pouvez-vous nous présenter la situation de la liturgie traditionnelle dans le diocèse d’Amiens ?

Firmin Fuscien  – C’est hélas tout simple : Amiens fait partie de ces derniers diocèses français pour lesquels il n’y a pas de messe traditionnelle officielle. C’est un derniers lieux où les mesures pacifiantes proposées par le motu proprio Summorum Pontificum promulgué en 2007 par le bon Pape Benoit XVI n’ont pas encore été appliquées.


Louis Renaudin – Il n’y a peut-être aucune demande… 

Firmin Fuscien – Vous plaisantez ! Amiens est tout au contraire un diocèse où depuis le Concile s’est déroulée une véritable guerre contre les tenants de l’antique liturgie, bien présents et bien vivants, avec pour objectif de les faire disparaître.


Louis Renaudin – N’exagérez-vous pas ?

Firmin Fuscien – Non. L’après-Concile fut une époque violente, ouvertement violente, où la réforme liturgique fut imposée brutalement. On en voit aujourd’hui les « merveilleux fruits »… Or, à l’époque, il se trouvait un peu partout en France des curés qui résistaient à ces nouveautés et qui ont tenté de conserver pour le bien de leurs fidèles les trésors de la liturgie et du catéchisme authentiquement catholiques. Mais presque toujours, ces curés, qui étaient âgés et isolés, ont fini par disparaître. Chez nous, dans le diocèse d’Amiens il s’est trouvé plusieurs de ces prêtres et un en particulier qu’il faut bien qualifier de héros, qui se sont battus contre vents et marées : l’abbé Philippe Sulmont.


Louis Renaudin – Qui était l’abbé Philippe Sulmont ?

Firmin Fuscien – Tout simplement un prêtre catholique non recyclé. Né en 1921, il entra au séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux, et fut ordonné en 1944 pour le diocèse d’Amiens où il vécut toute sa vie sacerdotale qu’il termina comme curé de Domqueur.


Louis Renaudin – Un curé ordinaire donc… ?

Firmin Fuscien – Extraordinairement ordinaire… Particulièrement vigilant, il avait pu observer depuis les années 50 bien des glissements qui l’interrogèrent et l’amenèrent à prendre des positions qui ne furent pas du goût de ses supérieurs.


Louis Renaudin – Par exemple ?

Firmin Fuscien – Nommé professeur au petit séminaire, il fut dénoncé pour son « anticommunisme » parce que… il enseignait l’encyclique Divini Redemptoris de Pie XI, dans laquelle le pape dénonçait le caractère « intrinsèquement pervers » du communisme athée. C’est pour cela qu’il fut remercié une première fois et envoyé ailleurs.


Louis Renaudin – Où ?

Firmin Fuscien – On le « promut » aumônier de la « Sainte-Famille » Mais déjà l’esprit de 1968 arrivait et il fut accusé de préférer l’ancien catéchisme catholique aux nouveaux « parcours catéchétiques », qui n’étaient pas sans ressemblance avec le tristement célèbre Catéchisme hollandais, des « parcours catéchétiques » qui trahissaient tranquillement la doctrine catholique. Il fut donc une nouvelle fois remercié.


Louis Renaudin – L’idéologie régnait donc ?

Firmin Fuscien – Mais bien sûr ! Et surtout dans le diocèse d’Amiens, qui avait été particulièrement noyauté par ce que l’on appelait alors des « curés rouges ». Mais à Amiens il y eu aussi des sortes d’« évêques rouges » d’abord Mgr Leuillet qui fut surnommé « Leuillet rouge » puis spécialement Mgr Noyer, évêque d’Amiens de 1987 à 2003, fidèle compagnon de route de Témoignage chrétien. Il alla jusqu’à y publier un billet, en avril 2010 : « Faut-il croire en la Résurrection ? », qui disait ceci : « Si on veut être précis, personne n’a cru en la résurrection de Jésus. Celle de Lazare avait eu une autre évidence. On a employé ce mot faute de mieux. Les apôtres après la mort de Jésus ont compris que son entreprise n’était pas achevée, que sa mission continuait, que sa Parole gardait sa puissance, que sa présence avait changé d’évidence. Être croyant ce n’était pas être crédule mais garder la foi en celui qui les avait émus, changés, mobilisés, transformés. Un instant, la croix les avait ébranlés. Ce dimanche matin ils reprenaient confiance. C’était leur foi qui était ressuscitée. Née dans la rencontre de Jésus, leur foi leur faisait dire : il est toujours vivant ! »


Louis Renaudin – Évidemment, ce n’était pas la même foi que celle de l’abbé Philippe Sulmont. Mais auparavant, sous Mgr Leuliet, que devint-il ?


 


Firmin Fuscien – Il fut nommé curé de paroisse. Il se disait avec humour « Curé mais catholique », selon le titre du livre qu’il fit paraître en 1984 chez Téqui. Curé d’abord à Gorenflos puis à Domqueur (un village situé entre Amiens et Abbeville), en 1970 et où il resta 37 ans jusqu’en 2007.


Louis Renaudin – Et c’est en tant que curé de Domqueur qu’il fit connaitre à son évêque le désarroi des fidèles catholiques d’Amiens ?

Firmin Fuscien – Tout à fait et cela il le fit pendant les 37 ans où il fut curé de Domqueur. Car cette paroisse devint en quelque sorte un de ces bastions de fidèles catholiques qui refusaient les dérives conciliaires. Je puis vous dire qu’il y avait du monde venant de tout le diocèse. C’est pourquoi aucun des évêques qui se succédèrent sur le siège d’Amiens de 1968 à 2007, Leuliet, Bussini, Noyer, Bouilleret, Leborgne) ne pouvaient ignorer qu’il existait une importante communauté de fidèles demandeurs de liturgie traditionnelle dans le diocèse d’Amiens.




Louis Renaudin – J’ai entendu dire que l’abbé Philippe Sulmont « ne faisait pas dans la dentelle »…

Firmin Fuscien – C’est vrai. Disons que c’était un curé de terrain, à l’ancienne… Et puis, souvenez-vous que l’abbé Sulmont était un peu seul contre tous et que ses supérieurs ne cessaient de le persécuter. Cela l’a parfois entrainé sur les voies de la polémique, mais à qui la responsabilité ? Est-ce polémiquer que de demander, à son père qui vous propose des scorpions, du pain, et de le lui demander à grands cris ? Son Bulletin paroissial de Domqueur était particulièrement tonique. Il était tout à fait dans le « genre littéraire » des bulletins de l’abbé Coache, de l’abbé de Nantes, du Père Barbara, et il touchait plus de 4000 lecteurs.


Louis Renaudin – Mais pour en revenir à la situation actuelle du diocèse en quoi nous intéresse l’abbé Sulmont ?

Firmin Fuscien – L’abbé Sulmont et son importante communauté de Domqueur constituaient la preuve qu’il existait dans le diocèse d’Amiens de nombreux catholiques attachés aux traditions liturgiques et catéchétiques de l’Église. A ce seul titre il ne pouvait pas être possible à l’évêque d’Amiens que dans son diocèse « il n’y aurait pas de fidèles désireux de vivre leur foi comme leurs aïeux ».


Louis Renaudin – Mais ils ne furent pas entendus ?

Firmin Fuscien – Non seulement pas entendus mais vraiment persécutés, car en ces temps-là les conciliaires purs et durs étaient moralement des sortes de tchéquistes : il s’agissait de nous exterminer. J’en ai même entendu dire que nous n’avions qu’à quitter l’Église, et aller chez les orthodoxes ou fonder notre propre église, plutôt que de reste chez eux… Vous me direz que, même si la violence n’est pas la même aujourd’hui, il faudra bien tôt ou tard que quelqu’un sorte de l’Église et que les choses soient claires. Mais ce n’est pas nous qui sortirons.


Louis Renaudin – Mais que pouvait-il faire ?

Firmin Fuscien – Continuer. Ce qu’il a fait jusqu’à la limite de ses forces. Et ensuite, il a transmis son héritage à la Fraternité Saint-Pie X qui, depuis ce moment, a repris le flambeau de la tradition dans le diocèse.


Louis Renaudin – La FSSPX n’avait pas attendu ce moment pour s’installer dans le diocèse.

Firmin Fuscien – En effet, car l’abbé Sulmont était de Domqueur, à la limite du Ponthieu, mais il y avait aussi des fidèles d’Amiens qui désiraient vivre leur foi catholique catholiquement. Dès 1977 s’y était constitué une association de fidèles attachés à la liturgie traditionnelle et ils firent appel à la Fraternité Saint-Pie-X, laquelle commença alors à desservir une communauté à Amiens. Ce fut lent et difficile et ce n’est qu’en 1985 qu’ils purent louer d’une manière permanente au conseil général de la somme la chapelle du Bon Pasteur où s’instaura pour de bon la liturgie traditionnelle à Amiens. Elle n’ y resta cependant pas longtemps car à la fin de l’année 2006 l’administration entrepris de la chasser pour y installer une garderie, qui bien sûr ne se fit pas mais ce fut un terrible moyen de les chasser du Bon Pasteur et c’est ainsi que ces catholiques se retrouvèrent en novembre 2007 sans église.


Louis Renaudin – Ces catholiques d’Amiens étaient jetés à la rue !

Firmin Fuscien – Et pendant la période hivernale… La Fraternité Saint-Pie X interrogea Mgr Bouilleret, qui était alors l’évêque d’Amiens pour que celui-ci lui accorde temporairement un lieu, le temps qu’elle se retourne. Cette demande apparaîtrait aujourd’hui comme « normale » (c’est une solution de cet ordre qui s’est mise en place récemment à Nantes ), et à l’époque, en 2008, elle pouvait déjà apparaitre telle, d’autant que, plusieurs évêques français, dont l’évêque d’Amiens, n’hésitaient pas lorsqu’il y avait une nécessité à « prêter » des locaux à des communautés même non catholiques, mais Mgr Bouilleret refusa tout net cette demande. Il faut dire qu’à Amiens, du point de vue la pratique, le catholicisme n’est plus la première religion…


Louis Renaudin – Que se passa-t-il alors ?

Firmin Fuscien – Choquée par cette attitude peu charitable la communauté se mit à faire célébrer sa messe dominicale soit sur le parvis de la cathédrale, soit devant l’église Saint-Germain dans des conditions particulièrement difficiles car cela se déroulait en hiver.




Louis Renaudin – En hiver ?

Firmin Fuscien – En plein hiver ! Je vous invite à relire votre propre lettre 161, publiée en janvier 2009, où vous relatiez une messe célébrée sur le parvis de la cathédrale par moins 14 degrés.


Louis Renaudin – Mais cela ne fit pas réagir l’évêque d’Amiens ?

Firmin Fuscien – Il est resté bien au chaud, campé sur ses positions. Il n’a pas non plus hésité à parler contre la vérité – c’est très mal pour un évêque ! – pour tenter de diviser les fidèles affirmant qu’il avait demandé la mise en place d’une célébration traditionnelle dans une église d’Amiens.


Louis Renaudin – Vous dites que Mgr Bouilleret a dit qu’il allait mettre en place une messe traditionnelle officielle ?

Firmin Fuscien – C’était un gros et vilain mensonge : quelques velléités trop souvent malveillantes à Saint-Roch , et puis d’un seul coup plus rien…


Louis Renaudin – Comment cette histoire finit-elle ?

Firmin Fuscien – Après avoir célébré la messe dans un garage en 2012 la Fraternité Saint-Pie X a acheté la chapelle St Vincent-de-Paul de l’ancienne caserne. C’est elle qui accueille désormais une moyenne de 150 fidèles chaque dimanche, c’est-à-dire à peine moins que ceux qui pratiquaient à la cathédrale avant que celle-ci ne soit confiée à la Communauté Saint-Martin… De fait, depuis 2012 seule la Fraternité Saint-Pie X répond au besoin des fidèles traditionnels à Amiens.


Louis Renaudin – Mais il existe des fidèles et des prêtres qui n’apprécient pas la Fraternité Saint-Pie X ?

Firmin Fuscien – J’en connais… mais ailleurs qu’en amiénois ! Que voulez-vous, ce sont des « riches » qui ont le choix ! Pour ma part j’apprécie l’œuvre entreprise par la Fraternité Saint-Pie X et je la remercie d’être présente au service des fidèles d’Amiens depuis plus de 40 ans. Je dirais même plus : il est heureux qu’elle soit présente, car nous ne sommes pas dépendants de pasteurs qui, aujourd’hui comme au temps de l’après-Concile, donnent toutes les apparences de nous haïr et d’attendre la première occasion pour nous faire disparaître. N’oublions pas, par ailleurs, que le regard de l’Église de Rome sur la Fraternité Saint-Pie X a bien changé.


Louis Renaudin – Vous croyez ?

Firmin Fuscien – Vous avez entendu dire tout de même, que le Pape François, que l’on ne peut tout de même pas taxer de traditionalisme, a donné à ses prêtres le droit de confesser, puis celui de marier officiellement. Dans le diocèse c’est une sorte de réparation pour l’abbé Sulmont contre les curés rouges !


Louis Renaudin – Mais y-a-t-il eu des demandes Summorum Pontificum ?

Firmin Fuscien – Je viens de rappeler la promesse de Mgr Bouilleret d’instaurer « une célébration traditionnelle officielle », ce qui signifie que Mgr Bouilleret n’ignorait rien de la demande de nombreux fidèles de vouloir vivre leur foi catholique officiellement. Ces demandes Summorum Pontificum existent, mais elles sont le plus souvent discrètes voire implicites. Le fait que la FSSPX soit jetée à la rue en 2007 avait d’ailleurs été très mobilisateur, bien au-delà des proches de cette Fraternité. Je puis vous assurer qu’il y a une forte demande de liturgie traditionnelle à condition que celle-ci ne soit pas accordée dans le but de la torpiller…


Louis Renaudin – À Amiens ?

Firmin Fuscien – À Amiens bien sûr, mais aussi à Abbeville et dans toute la zone du Ponthieu où les familles qui veulent une messe traditionnelle et un catéchisme traditionnels sont nombreuses, autour de Saint-Valéry, d’Eu, du Tréport et de Rue. Une messe dominicale traditionnelle dans la région d’Abbeville est une nécessité.


Louis Renaudin – Il faut donc une messe traditionnelle dans la région d’Abbeville. Et à part ça comment voyez-vous l’avenir ?

Firmin Fuscien – Certains catholiques avaient vu l’arrivée de Mgr Leborgne, évêque d’Amiens depuis 2014, comme une circonstance favorable à un apaisement. Malheureusement il n’en a rien été, en tout cas pour ceux qui sont attachés à la liturgie traditionnelle, même si l’installation de la Communauté Saint-Martin dans la cathédrale d’Amiens a permis un redressement de la pratique et des quêtes… Rien n’est fait pour entreprendre la politique d’apaisement et je dirais de « mélange » du monde traditionnel au sein du monde catholique officiel qu’avait souhaité Benoit XVI avec son motu proprio Summorum Pontificum. C’est donc pour l’instant autour de la Fraternité Saint-Pie-X que se regroupent les bonnes volontés avec des projets d’écoles et surtout avec l’érection d’un véritable prieuré à Amiens qui permettra de mieux desservir toutes les demandes du diocèse. Et puis il y a aussi ce projet d’implantation de la « Résistance », la communauté détachée de la FSSPX, entre Albert et Péronne.


Mais il reste beaucoup à faire dans le diocèse d’Amiens, et à mon avis les temps vont être mûrs.

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