Notre lettre 741 publiée le 17 avril 2020

PÂQUES 2020
LE GRAND RETRAIT DU CULTE CATHOLIQUE

Dans un article publié le 10 avril 2020 par L’Homme nouveau , « Pâques 2020 : le retrait de la gloire de Dieu », l’abbé Henri Vallançon, prêtre du diocèse de Coutances, curé de paroisse, professeur d’Écriture Sainte au séminaire de Rennes, membre de la communauté Notre-Dame de Vie, exprime son trouble : « Quel événement spirituel majeur ! En deux-mille ans d’histoire de l’Église, cela n’est jamais arrivé. Au pire des persécutions, on célébrait dans les maisons. Là, non. Il faut remonter à la grande crise des années 167-164 avant Jésus-Christ, dont parle le livre de Daniel et les livres des Macchabées, pour trouver le dernier épisode de l’interruption du culte public de Dieu dans son peuple ».


Des prêtres qui ne s’y résignent pas


Et l’abbé Vallençon accuse : « Dans cette situation extrême, même les courants du christianisme les plus strictement attachés à l’observance de la loi de Dieu ne se distinguent plus des autres : les communautés catholiques traditionalistes ont aussitôt emboité le pas à la Conférence des évêques de France, sans mot dire ; le Saint-Synode permanent de l’Église orthodoxe de Grèce avait commencé par déclarer que la communion eucharistique n’était pas le danger mais le remède, avant de revenir huit jours plus tard sur ses déclarations, invitant chacun à rester chez soi. Tous ont fini par s’y résoudre : le culte public de l’Église est suspendu ».

Il n’est pas le seul à s’élever contre cette situation. L’abbé Matthieu Raffray, de l’Institut du Bon Pasteur, enseignant à l’Université pontificale Saint Thomas d’Aquin, à Rome, dans une tribune libre du Bulletin de la Ligue du Midi, reproduit par Riposte catholique le 16 avril 2020 , accuse les évêques de France : « Ils se sont pliés aux injonctions gouvernementales sans broncher. Car il serait finalement moins dangereux d’aller au supermarché pour y satisfaire les besoins de l’esprit de consommation, que d’entrer (prudemment, en gardant les distances de bon sens) dans une église, pour y satisfaire les nécessités de l’Esprit Saint. […] Quand on pense que le brave catholique qui n’aura pu assister à la messe du dimanche ou même faire ses prières dans une église vide, chopera le satané virus au supermarché… »

L’abbé Claude Barthe, que nous avions interrogé sur ce sujet dans notre Lettre 731, du 31 mars 2020 , revient, dans un article de Res Novæ du 14 avril 2020, sur l’« Éclipse de la religion publique au nom du "principe de précaution" » : « Cette année 2020 sera pour le catholicisme une année de désastre : en France, en Italie, en d’autres pays de notre vieil Occident chrétien, on n’a pas célébré de messe publique pour Pâques. […] Les évêques de France eussent pu, faute de mieux, organiser les assemblées liturgiques en fonction de ces contraintes légales passablement tyranniques, essentiellement en multipliant le nombre de messes pour des petits groupes. Bien au contraire, ils ont anticipé les mesures gouvernementales ».

Mais la protestation silencieuse vient surtout de tous ces prêtres de terrain, curés de paroisses, membres de la FSSPX et d’autres communautés, qui ont continué, discrètement, prudemment, à ouvrir leurs églises et à y célébrer, pour les petites assistances qui voulaient ou pouvaient s’y rendre des messes de semaine et des messes dominicales, ou bien des messes dans des lieux privés. Sans négliger les nombreuses retransmissions de messes en direct par des paroisses et communautés, qui ont rendu de grands services à beaucoup de catholiques ne pouvant faire mieux que de maintenir virtuellement leur piété eucharistique, on peut dire que ces messes « de petits groupes » ou parfois même ces « eucharisties domestiques » ont maintenu une petite flamme.

Il reste que les accents enflammés de l’abbé Vallançon mettent le doigt sur une profonde plaie.

Comme dans la vision d’Ézéchiel, la gloire de Dieu a aujourd’hui quitté son sanctuaire

Pour mesurer la gravité de la plaie, le bibliste qu’est l’abbé Vallançon invite à scruter la Parole de Dieu : « Rien ne vaut, pour le chrétien, face aux événements troublants, que de retourner à la Parole de Dieu, aux Saintes Écritures. Au mois de septembre 592 avant Jésus-Christ, Ézéchiel, le prêtre-prophète, fut transporté en vision, depuis Babylone où il était déjà en exil, au temple de Jérusalem : "L’Esprit m’enleva entre la terre et le ciel, et me transporta dans des visions divines à Jérusalem, à l’entrée de la porte intérieure, du côté du nord, où était l’idole de la jalousie, qui excite la jalousie du Seigneur » (Éz 8,3). "Et il me dit : Fils de l’homme, vois-tu ce qu’ils font, les grandes abominations que commet ici la maison d’Israël, pour que je m’éloigne de mon sanctuaire ? Mais tu verras encore d’autres grandes abominations" (Éz 8,6). "Je regardai et voici, il y avait toutes sortes de figures de reptiles et de bêtes abominables, et toutes les idoles de la maison d’Israël, dessinées tout autour sur le mur. Soixante-dix hommes des anciens de la maison d’Israël, au milieu desquels était Jaazania, fils de Shaphan, se tenaient devant ces idoles, chacun l’encensoir à la main, et il s’élevait une épaisse nuée d’encens. Et il me dit : As-tu vu, fils d’homme, ce que font les anciens de la maison d’Israël, dans l’obscurité, chacun dans les chambres consacrées à son idole ? Car ils disent : le Seigneur ne nous voit pas, le Seigneur a abandonné le pays. Et il me dit : Tu verras encore d’autres grandes abominations qu’ils commettent (…). Et voici, il y avait là des femmes assises, qui pleuraient Thammuz. Et il me dit : Vois-tu, fils de l’homme ? Tu verras encore d’autres abominations plus grandes que celles-là. Et il me conduisit dans le parvis intérieur de la maison du Seigneur. Et voici, à l’entrée du temple du Seigneur, entre le portique et l’autel, il y avait environ vingt-cinq hommes, tournant le dos au temple du Seigneur et le visage vers l’orient ; et ils se prosternaient à l’orient devant le soleil" (8,10-16).

Cette vision décrit quatre formes de pratique idolâtrique commises à Jérusalem, de plus en plus proches du sanctuaire de la présence de Dieu. La suite de la vision montre la gloire du Seigneur quitter son temple ainsi profané (Éz 9,3 ; 10,4.18-19) et la ville de Jérusalem tout entière (Éz 11,22-23). L’analogie entre la gloire de Dieu quittant son sanctuaire, son temple et sa ville en Ézéchiel, et la suspension du culte public de l’Église du Christ aujourd’hui, au sommet de l’année liturgique, est particulièrement frappante. Cette terrible crise sanitaire mondiale ressemble bien quand même à un avertissement divin exprès pour les hommes d’Église, et en particulier pour la hiérarchie ecclésiastique... »

Qu’elle est aujourd’hui la cause de ce retrait de la gloire de Dieu ? La même qu’au temps d’Ézéchiel, dit Henri Vallençon : « Même si c’est avec des raisons plus sophistiquées que les Hébreux d’autrefois, n’avons-nous pas vu reparaître au contraire en notre temps, de telles offenses abominables au premier commandement du Décalogue, "qui excitent la jalousie du Seigneur" ? Le relativisme doctrinal sévissant à tous les niveaux de la vie de l’Église, une vision naïve des éléments de vérité contenus dans les autres religions, ont ébranlé les affirmations les plus nettes des apôtres : "Jésus : il n’y a de salut en aucun autre, car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés" (saint Pierre en Ac 4,12) ; "il y a un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme" (saint Paul en 1 Tm 2,5) ».

Le ton du curé coutançais prend alors les accents mêmes du prêtre-prophète Ézéchiel pour parler de profanation de la maison de Dieu et de ses sacrements en notre époque : « À mesure que la culture de nos sociétés occidentales s’éloigne de la foi chrétienne, nous observons une tendance exponentielle à transformer périodiquement les sanctuaires de la présence de Dieu que sont nos cathédrales, nos églises, en scènes de concerts indécents ou profanatoires. Que de musiques indignes de la maison de Dieu, étrangères à la liturgie catholique, aux paroles souvent blasphématoires si on les traduit de l’anglais, diffuse-t-on sans vergogne lors des baptêmes, mariages, inhumations… Il est devenu banal, et même louable, de célébrer l’office des funérailles pour des pécheurs publics, en contradiction avec le Code de Droit Canonique (§ 1184), rendant ainsi dérisoires les rites de l’Église. La profanation des sacrements a pris des proportions jamais atteintes. Le manque de respect vis-à-vis de l’eucharistie, la banalisation des gestes du clergé et des fidèles pour en disposer, la disparition dans la plupart des communautés chrétiennes de l’agenouillement et des génuflexions sont généralisés. Nous, hommes d’Église, avons-nous le souci aigu, jusqu’au tourment, que, par respect pour l’honneur dû à Dieu et aux choses de Dieu, les sacrements soient reçus en état de grâce ? Ce principe est radicalement ébranlé aujourd’hui dans l’Église et partout bafoué : combien communient sans se confesser une fois l’an ? Combien de mariages célèbre-t-on, combien d’onctions des malades sont données à des personnes sans confession préalable ? »


L’espérance : « Les nations sauront que je suis le Seigneur »


« Mais, poursuit l’abbé Vallançon, la Parole de Dieu continue à nous indiquer le chemin de l’espérance par la conversion. Ainsi, à la fin du livre d’Ézéchiel, le prophète décrit sa vision du retour de la gloire de Dieu dans le Temple (Éz 43,1-12), puis du renouveau du culte, de la vie du peuple de Dieu. Cet oracle, que nous lisons chaque année à la veillée pascale, forme la charnière entre le retrait et le retour de la gloire du Dieu et donne la clé de compréhension de son action dans l’histoire : "J’ai voulu sauver l’honneur de mon saint nom, que profanait la maison d’Israël parmi les nations où elle est allée. C’est pourquoi, dis à la maison d’Israël : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Ce n’est pas à cause de vous que j’agis de la sorte, maison d’Israël ; c’est à cause de mon saint nom, que vous avez profané parmi les nations où vous êtes allés. Je sanctifierai mon grand nom, qui a été profané parmi les nations, que vous avez profané au milieu d’elles. Et les nations sauront que je suis le Seigneur, dit le Seigneur Dieu, quand je serai sanctifié par vous sous leurs yeux. Je vous prendrai d’entre les nations, je vous rassemblerai de tous les pays, et je vous ramènerai dans votre pays. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit en vous, et je ferai en sorte que vous suiviez mes ordonnances, et que vous observiez et pratiquiez mes lois" (Éz 36,21-27).

Un signe concret « au milieu des nations », un premier signe en tout cas, tant de cette purification qu’amorceront les hommes d’Église, que de la manifestation par leur intermédiaire de la gloire de Dieu, pourrait être le zèle avec lequel ils rouvriront, avant l’Ascension, les lieux du culte divin, pour y célébrer la divine liturgie. Évêques, prêtres, fidèles aussi, auront-ils cette promptitude, qu’on pourrait dire affamée des biens sacramentels, que manifestèrent nos ancêtres lorsqu’ils firent revivre le culte après la Révolution ? 

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