Notre lettre 552 publiée le 26 juillet 2016

DANS LA BANLIEUE DE PORTLAND, L'INDULT DE SAINTE BRIGITTE

Une vraie illustration du sensus fidelium

Le prochain pèlerinage Populus Summorum Pontificum (Nursie-Rome, du 27 au 30 octobre 2016) sera guidé par un pasteur d’exception, Mgr Alexander K. Sample, archevêque de Portland (voir notre lettre 404). Pour préparer sa venue, l'un des organisateurs du pèlerinage a eu le privilège de passer quelques jours dans ce diocèse lointain où il a fait de merveilleuses rencontres. Il nous a proposé d'en partager une avec nos lecteurs...




I – SUR LES RIVES DE LA WILLAMETTE RIVER, 100 ANS DE MESSE TRADITIONNELLE ININTERROMPUE
 
Quelque part en périphérie de Portland, la capitale économique de l’Oregon, sur la côte ouest des États-Unis, coincée entre la route et la voie ferrée qui longent la vallée de la Willamette, se trouve une grange en bois. Seul le panneau qui se dresse au bord de la route et porte en lettres rouges un peu dépeintes les mots « Latin Mass » révèle que cet édifice n’est pas tout à fait comme les autres : il s’agit de l’église Sainte-Brigitte (« Saint Birgitta »), cœur de la paroisse du même nom, consacrée le 16 juillet 1916. Là, depuis 100 ans, et nonobstant la réforme liturgique, la messe de saint Grégoire-le-Grand, saint Pie V et saint Jean XXIII, n’a jamais cessé d’être célébrée. En parfaite communion et obéissance avec Rome et l’ordinaire du lieu.

De 1954 à 1994, la charge pastorale de la paroisse de Saint Birgitta fut confiée à un missionnaire d’origine croate, le père Milan Mikulich. La durée providentielle de l’apostolat de ce franciscain a grandement contribué à la conservation de la liturgie traditionnelle en cet îlot de chrétienté de la côte ouest des États-Unis. Toutefois, c’est d’une poignée de fidèles que le petit miracle de Saint Birgitta a commencé.

À la charnière des années 60-70, alors que la nouvelle messe se profilait, quatre familles de paroissiens firent en effet part au père Milan de leur désir de conserver la messe latine et grégorienne. Conscient de la désaffection qui menaçait sa communauté, notamment en raison de l’isolement géographique de la paroisse, le père Milan y vit une occasion de la préserver, si ce n’est de la renouveler. Il profita alors de son amitié avec un cardinal romain – très probablement son compatriote, le cardinal Seper, prédécesseur du cardinal Ratzinger à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi – pour obtenir du Pape Paul VI un indult lui permettant de continuer à célébrer selon le missel de 1962.

De fait, jusqu’à sa retraite et son retour en Croatie, le père Mikulich fut laissé libre d’offrir la messe traditionnelle par les différents archevêques de Portland. Ensuite, un prêtre qui le secondait de temps en temps se proposa pour prendre sa succession et garantir la continuité liturgique et pastorale à Saint Birgitta. Ainsi, en 1994, le père Joseph Browne, CSC, quitta l’université catholique de Portland pour 15 années de service dévoué à Sainte-Brigitte.

En 2009, en attendant la nomination d’un nouveau curé, c’est l’abbé Luan Tran, un prêtre d’origine vietnamienne – Portland compte une importante communauté de réfugiés du Sud-Vietnam –, qui fut appelé pour desservir la communauté traditionnelle locale, dans le cadre désormais apaisé du Motu Proprio Summorum Pontificum. Finalement, en 2010, c’est à l’abbé Tran que revint la cure de la paroisse.

Curé exemplaire d’une paroisse vivant pleinement la paix liturgique
in utroque usu – dans l’une et l’autre forme du rite romain – l’abbé Tran considère l’isolement de Saint Birgitta comme une bénédiction : « Plus nous sommes cachés du monde, moins nous nous mettons en scène et plus nous nous appliquons à obéir à Dieu en toutes choses, à être fidèles au Magistère et à la hiérarchie de l’Église ; et plus nous recevons de grâces. »

« À ma connaissance, poursuit-il, il n’y a pas eu un seul dimanche sans messe traditionnelle à Saint Birgitta : durant toutes ces années le Bon Dieu, la Sainte Vierge et sainte Brigitte de Suède en ont gardé les portes ouvertes aux fidèles qui y sont attachés. Les paroissiens et les prêtres de cette insignifiante petite église ne cessent jamais de s’émerveiller de la générosité et de la bonté du Bon Dieu, de la sollicitude de la Vierge Marie, de la protection de saint Michel et saint Joseph et de l’intercession constante de sainte Brigitte. »


***

De cet îlot de chrétienté en périphérie du monde, où rayonne si paisiblement la joie de la jeunesse éternelle de la liturgie latine et grégorienne, notre ami souhaite de bonnes vacances à tous nos lecteurs et les invite à rejoindre le Populus Summorum Pontificum à Nursie le 27 octobre prochain !


L'abbé Luan Tran, curé de Saint Brigitta.


II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Même si le texte fut peu ou prou totalement ignoré par les évêques locaux, nous rappelions dans notre lettre 548 l’importance historique de l’indult dit « Agatha Christie », concédé en 1971 par le Pape Paul VI aux catholiques britanniques désireux de continuer à prier selon « l’ancien missel romain ». L’histoire de Saint Birgitta nous rappelle fort à propos que cet indult, collectif, fut toutefois précédé de divers indults privés, les plus célèbres étant ceux accordés à saint Padre Pio et saint Josemaría Escrivá.

2) L’intérêt particulier de cet indult accordé au missionnaire croate est qu’il n’est pas directement le fruit d’un désir du prêtre mais bien de celui de ses ouailles. C’est, en quelque sorte, l’illustration excellente (car pacifiquement couronnée de succès) de l’importance du rôle des laïcs dans la sauvegarde de la tradition catholique. Si le missel tridentin s’est conservé au-delà de 1969, c’est par une réaction du sensus fidelium, de l’instinct de la foi des fidèles qui, dans le monde entier, ont tout mis en œuvre pour son maintien. La non-réception de la réforme liturgique a alors amené les autorités romaines à la reconnaissance expresse de la légitimité de la célébration selon le missel ancien (*).Les paroissiens de Saint Birgitta ont ainsi préfiguré ce que le Pape Benoît XVI définira dans le Motu Proprio Summorum Pontificum comme « groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure ».

3) Nous insistons souvent sur la dimension missionnaire de la liturgie traditionnelle, dans le contexte particulier de la ré-évangélisation. Il est intéressant que ce soit un missionnaire qui ait eu l’instinct de relancer sa paroisse moribonde du fait de son isolement en misant sur la liturgie traditionnelle. De fait, aujourd’hui, comme depuis les années 70, tous les dimanches à 9h30, le parking et les bancs de Saint Birgitta sont pleins. Soulignons enfin que l'instigateur de cette célébration était Croate et que son successeur actuel est d'origine vietnamienne : une nouvelle illustration de ce que l'attachement à la messe traditionnelle n'est pas une particularité française mais bien un amour universellement partagé et recherché.

(*) « Dans certaines régions, toutefois, de nombreux fidèles se sont attachés et continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné leur culture et leur esprit, que le Souverain Pontife Jean-Paul II, poussé par la sollicitude pastorale pour ces fidèles, accorda en 1984, par un indult spécial Quattuor abhinc annos de la Congrégation pour le Culte divin, la faculté d’utiliser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII ; puis de nouveau en 1988, par la lettre apostolique Ecclesia Dei en forme de Motu Proprio, Jean-Paul II exhorta les Évêques à utiliser largement et généreusement cette faculté en faveur de tous les fidèles qui en feraient la demande » (Benoît XVI, Motu Proprio Summorum Pontificum, 7 juillet 2007).

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