Notre lettre 470 publiée le 26 décembre 2014

LE FLAIR DES BREBIS

Cette semaine, nous nous appuyons sur le courrier d’un lecteur et du témoignage insolite qu’il rapporte pour revenir sur un thème qui nous est cher : la présence silencieuse et pacifique dans nos paroisses de tant de fidèles désireux de retrouver une liturgie plus digne et priante.


I- Le courrier de notre lecteur

Chers Amis de Paix liturgique,

Avec un peu de retard, je souhaite vous faire part, et pourquoi pas à vos lecteurs, d’une rencontre que j’ai faite lors de la Semaine Sainte. Souvent, vous parlez des Silencieux de l’Église, de tous ces fidèles qui sont demeurés fidèles à leur paroisse en dépit des changements liturgiques et doctrinaux et qui, comme ils ne se font pas entendre, passent inaperçus. Parfois, je me dis que vous exagérez ce phénomène, qui était sans doute très fort dans les années 70 mais qui me semble dépassé aujourd’hui que chacun, ou presque, peut choisir sa messe.

Dépassé ? En fait, je crois que c’est moi qui le suis ! Voici donc ce qui m’est arrivé le Vendredi Saint alors que je séjournais dans le village de mon enfance, en Bourgogne...

Il y a 30 ans, il y avait encore dans ce village un curé résident et la messe y était célébrée chaque dimanche. Aujourd’hui, fruit amer du “printemps” conciliaire, le village appartient à une paroisse regroupant près de 40 clochers et la messe n’y est plus qu’exceptionnelle.

Du coup, quand on m’a dit qu’un jeune prêtre était arrivé dans ladite paroisse et se donnait du mal pour lui redonner vie, j’ai décidé de m’y rendre en famille le Vendredi Saint, pour le chemin de croix. 

Alors que le chemin de croix était récité en français et que nul feuillet n’était nécessaire pour le suivre, un fidèle, pourtant, avait le nez plongé dans son missel. Comme cela ne manquait pas de m’intriguer, à l’issue de la célébration, je me suis dirigé vers ce monsieur pour le féliciter de son beau missel :
- C’est celui de ma première communion. C’était en 1949, me répondit-il en souriant. Depuis, je le prends toujours avec moi.
- Même le dimanche ?
- Surtout le dimanche !
- Vous allez donc à la messe à Dijon, alors ? Nous aussi, quand il nous arrive d’être dans la région, enchaînai-je sûr de mon fait. (NB : Aussi bien la FSSP que la FSSPX offrent la messe traditionnelle à Dijon)
- Non, me répondit-il un peu surpris, je viens toujours à la messe ici. C’est mon église. J’y ai été baptisé, j’y ai fait ma communion, mes frères aussi. Je m’y suis marié...
- Vous voulez dire que vous avez toujours gardé votre missel ancien tout en suivant la messe moderne ?
- C’est bien ça. Vous savez, avec les nouveaux prêtres, la messe changeait tout le temps alors je n’y comprenais plus rien. Du coup, j’ai continué à lire la messe dans mon missel sans trop me soucier de ce que faisait le curé.

[...]

Le Missel de Première Communion de dom Cabrol, bénédictin marseillais devenu abbé de Farnborough, eut un grand succès tout au long des années 40 et 50.


II – Les réflexions de Paix liturgique

1) Sans aucun doute, l’attitude de ce paroissien rencontré par notre lecteur est particulièrement insolite aujourd’hui. Pourtant, elle fut celle d’un bon nombre de fidèles qui, de la sorte, commencèrent à manifester leur désaccord avec la grande braderie liturgique. Elle fut aussi celle de certaines de nos grands-mères préparant leur messe dominicale dans leur missel tridentin avant d’assister à la messe de Paul VI comme si de rien n’était. Ce n’est pas pour rien si Benoît XVI introduisait le Motu Proprio Summorum Pontificum par ces lignes : « Dans certaines régions, toutefois, de nombreux fidèles se sont attachés et continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné esprit et leur culture, que le Souverain Pontife Jean-Paul II, poussé par la sollicitude pastorale pour ces fidèles, accorda en 1984, par un indult spécial Quattuor abhinc annos de la Congrégation pour le Culte divin, la faculté d’utiliser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII ; puis de nouveau en 1988, par la lettre apostolique Ecclesia Dei en forme de Motu Proprio, Jean-Paul II exhorta les Évêques à utiliser largement et généreusement cette faculté en faveur de tous les fidèles qui en feraient la demande. »

2) Ce qui frappe dans l’attitude de ce fidèle bourguignon (fidélissime devrait-on écrire !), c’est qu’il n’a manifestement jamais eu l’idée de quitter sa paroisse ou, plus justement, comme il le dit lui-même, SON église. C’est là une des clés de l’action que mène Paix liturgique et que notre campagne de sondages a pris en compte : le lien entre les fidèles et LEUR paroisse voire LEUR église de quartier ou de village. Ce pieux fidèle qui suit la messe dans son ancien missel « vote » clairement : il demande silencieusement, dévotement même, que cette messe-là soit à nouveau célébrée dans le lieu où il l’a connue. Or, et l’histoire de ce paroissien l’explique bien – lui qui n’a semble-t-il jamais ressenti le besoin de manifester son désarroi voire son désaccord à ses curés quant à l’abandon de la liturgie traditionnelle –, bien des pasteurs ignorent tout de ces fidèles qui continuent en silence à participer à la vie paroissiale sans en partager les bouleversements. Du coup, ces fidèles n’existent pas et leurs aspirations demeurent méconnues.

3) La « résistance » qui s’est manifestée dans l’Église depuis le dernier concile, au moins du point de vue liturgique, soit par l’organisation de messes traditionnelles hors des paroisses, soit par des attitudes semblables à celles de ce paroissien dans son église, relève en fait de ce dont les théologiens modernes nous rebattent les oreilles, à savoir du sensus fidei, de l’« instinct de la foi » qui anime les laïcs de la base. De même que, lorsque la loi n’est pas assez claire pour s’appliquer à certaines situations concrètes, les citoyens qui aiment le bien commun agissent selon l’« épikie » c’est-à-dire en présumant de l’intention du législateur , de même, lorsque l’expression de l’Église enseignante fait partiellement défaut, les catholiques cohérents agissent selon leur instinct de la foi. L’attitude de ce paroissien, comme celle des familles qui parcourent jusqu’à cinquante kilomètres chaque dimanche pour assister à une messe traditionnelle, sont bien l’illustration de ce sensus fidei. Pour reprendre un thème cher au Pape François, ces fidèles manifestent qu’ils sont dotés du « flair des brebis ».

4) « On pouvait supposer que la demande de l’usage du Missel de 1962 aurait été limitée à la génération plus âgée, celle qui avait grandi avec lui, mais entre-temps il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. C’est ainsi qu’est né le besoin d’un règlement juridique plus clair, que l’on ne pouvait pas prévoir à l’époque du Motu Proprio de 1988. » C’est Benoît XVI qui faisait ce constat lucide et courageux dans sa lettre aux évêques accompagnant son Motu Proprio du 7 juillet 2007. Car il en va en fait des jeunes comme des moins jeunes. Si les messes selon la forme extraordinaire du rite romain attirent beaucoup de jeunes, beaucoup d’autres jeunes, de jeunes couples en particulier, choisissent de demeurer dans LEUR paroisse. Au moins pour un temps ou pour des activités bien précises : équipes Notre-Dame, parcours Alpha, etc. Et eux aussi, souvent, ne font pas de vagues, laissant croire au curé et, surtout, au conseil paroissial, que tout est pour le mieux dans la meilleure des paroisses possibles.

5) De cela, on dit que les évêques de France sont en train de se rendre compte – plus ou moins vite selon les cas –, à savoir que le public des paroisses a profondément changé en deux générations : les « catholiques engagés » qui avaient investi avec enthousiasme les réformes liturgiques de la fin des années soixante ont, dans une proportion importante, ont vieilli, se sont lassés, voire, ont carrément quitté l'Église. Ils restent cependant en nombre suffisant pour bloquer ou au moins ralentir toute évolution salutaire. De fait, la réadaptation de la pastorale et de la liturgie à la véritable « demande » des fidèles restés fidèles ne se fait encore que lentement, timidement. Voire pas du tout.

6) « N’ayez pas peur des différences ! » exhortait le pape François le 31 octobre dernier (notre lettre 465), nous invitant à accueillir « avec joie les divers dons que l’Esprit donne à chacun et les mettre au service de tous dans l’Église ». Prenant prétexte de la résistance passive et silencieuse de ce paroissien bourguignon qui n’a jamais eu d’autre missel que celui de sa première communion, nous voyons dans les paroles du Pape un encouragement aux membres des conseils paroissiaux à sortir de leur routine et de leurs certitudes : non seulement, en droit, les paroisses ne vous appartiennent pas mais en plus, sociologiquement, elles ne vous appartiennent plus. Ouvrez donc les yeux et les oreilles et faites une place à ces paroissiens silencieux qui témoignent de dimanche en dimanche de leur esprit de paix et de fidélité, et aspirent à une vie liturgique et spirituelle différente de la vôtre. Faites l’expérience de vous ouvrir au missel de saint Jean XXIII et vous verrez que la vie de la paroisse ne s’en portera que mieux.

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