Notre lettre 910 publiée le 29 décembre 2022

TRADITIONIS CUSTODES :
QUELQUES EXEMPLES DES MULTIPLES MANIERES
DE RESISTER, RESISTER, RESISTER

Depuis la promulgation du motu proprio Traditionis custodes en 2021, divers évêques français – malgré la réalité de la déchristianisation et de la pénurie tant de fidèles, que de desservants et de moyens, se sont mis à faire la chasse à leurs derniers fidèles plutôt jeunes, et à leurs curés.

L’application patchwork du motu proprio dessine une carte de France des interdits, officiels, officieux, implicites, entre lesquels les fidèles et les desservants se débrouillent. Comme pendant les confinements, placés face au choix d’être fidèles aux gouvernants ou au Seigneur, ils préfèrent rester fidèles à la messe de toujours. Quant aux custodes Traditionis, qu’il faut traduire par les « geôliers de le Tradition » nous dit l’abbé de Tanoüarn, ils finiront par tomber en poussière. « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » (Mt 24-35).


S’adapter à une situation de crise


C’est le printemps aux confins de la Bretagne, de la Vendée et de l’Anjou. Sur le ciel, théâtre d’une bataille navale constamment renouvelée, toutes les demi-heures des nuages s’assemblent en ligne de file et font parler la poudre, l’horizon s’embrume de nuées, puis le vent les chasse et laisse la place aux suivants.

Capelé dans sa soutane, les pans battant au vent, entre deux vagues, un curé sort de la maison pour baptiser un enfant, suivant le rite extraordinaire – comme depuis des siècles, en réalité, avec les exorcismes. La cérémonie se fait dans la chapelle privée, une ancienne grange discrète, devant quelques personnes. Quelques semaines plus tard, ledit curé glissera le nom du baptisé parmi les autres dans sa paroisse, à plusieurs dizaines de kilomètres de là. Ni vu, ni connu.

Les sacrements tridentins sont interdits dans le diocèse – mais ils l’étaient déjà de 1793 à 1800, quand cette grange servait – déjà – de chapelle – et que la jeune République tuait par ici un habitant sur cinq, enfermant des villages entiers dans leurs églises avant d’y mettre le feu. Sur les murs de la grange-chapelle, des traces noires rappellent ces temps terribles – l’évêque d’alors abjura devant le représentant en mission qui noyait les « suspects » par dizaines, puis présida son administration départementale avant de finir marié et épicier à Paris. Des prêtres baptisaient, mariaient, inhumaient en se cachant, de granges en forêts, ombres noires qui galvanisaient un peuple souffrant et combattant. Près de 229 ans plus tard, en lieu et place, à travers les générations et les temps, la résistance continue.

« Depuis l’interdiction des sacrements, on reçoit plus de demandes de mariages de gens, qui jusque-là, ne seraient pas venus chez nous », abonde un abbé FSSPX d’un de ces diocèses, « et on essaie de les satisfaire au mieux – bien sûr, on fait aussi les préparations, on bâtit sur du solide ». Il continue « En fait, comme on a continué alors que les diocésains – presque tous – avaient abandonné leurs fidèles, on a déjà récupéré un tiers de fidèles en plus pendant le confinement. Puis une partie de nos fidèles ont quitté la ville après les confinements, ou entre, parfois pour partir en banlieue en continuant à venir chez nous, parfois pour aller beaucoup plus loin – en Bretagne intérieure, sur d’autres littoraux, à l’étranger aussi. Mais dans l’église, c’est toujours aussi plein – les partis ont été remplacés, et la paroisse est plus diversifiée, il y a plus d’urbains qu’avant et de milieux plus divers ».


Être inventif


Ce prêtre francilien fait des centaines de kilomètres pour assurer là des mariages, des baptêmes ou des sépultures. Dans les deux rites. « Généralement, ça se passe bien ».

Plus que le rite, le curé parisien constate lors de ces déplacements « l’accroissement de la rupture entre certains prêtres et leurs fidèles. Certains de mes confrères courent partout, sans cesse, en vain, seuls ou avec un confrère pour 60 à 100 clochers, ils sont au bord du burnout permanent, d’autres, à l’inverse, trouvent toujours un bon prétexte pour refuser d’aller faire un sacrement, même en Novus Ordo, dans une église à 2 ou 5 km de leur chef-lieu – je connais un confrère traditionnel qui a fait 600 km aller-retour pour un enterrement, avec dans sa voiture de quoi équiper une église – tabernacle et pierre d’autel y compris, puisque l’église où la cérémonie avait lieu était désaffectée de fait depuis vingt ans – et dans le rite tridentin on a besoin de bien plus de choses que dans le nouveau rite.

Dans certains diocèses il y a des « comités locaux d’action » [ à Reims-Ardennes notamment ] dans les paroisses desservies à peine une fois par mois, voire deux ou trois fois par an. Trois retraitées qui n’y connaissent rien et prétendent régenter tout le monde – y compris le curé du coin qui court partout et ne contrôle plus rien, donc qui laisse faire n’importe quoi à la messe. C’est le sel sur la lande. »

Une impression partagée par Michel, qui a récemment fait appel à un curé bi-ritualiste d’un diocèse voisin pour son mariage. « Notre évêque a interdit les sacrements, on a essuyé deux refus polis, et un qui ne l’était pas – on s’est presque fait traiter de fascistes, et on lui a répondu – ma famille est d’ici depuis le XVIIe siècle – qu’en 1960, l’église était pleine, alors que la dernière fois que je l’ai vue pleine, c’était à la fin des années 2010 pour l’enterrement d’une personnalité politique très en vue. Ils sont à peine 40 aux grandes occasions, souvent moins d’une dizaine, il n’y a plus qu’une messe par mois, et en gros, c’est nous les coupables de ne pas les suivre dans leur bêtise ».

Assez remonté, Michel trouve « guère étonnant que les fidèles qui restent – les plus jeunes notamment, et ceux qui ont persévéré contre vents et marées pendant le Covid – préfèrent des sacrements qui tiennent la route. Notre église a été construite au XVIIe, pour la messe en latin. Eux, avec leur nouvelle messe, ils ont construit quelques salles polyvalentes, en ville, qu’ils pourront vendre à Lidl ou aux témoins de Jéhovah, pour les gens qui habitent autour de ces non-églises, ça ne fera aucune différence.

Notre évêque a déclaré la guerre aux gens comme nous – en fait, à ceux qui n’habitent pas en ville, roulent avec des voitures qui y seront bientôt interdites et fument des roulées – ces évêques ont oublié qu’ils sont vieux, seuls, et qu’ils ne représentent plus personne. En tout cas, lui ne nous représente plus – je suis élu local, je vais engager quatre ans de budget communal pour refaire l’église, mais c’est notre patrimoine à nous, depuis des siècles, c’est à nous de l’entretenir – et à la place de donner au diocèse pour qu’ils me crachent dessus, j’aide les prêtres méritants. Ceux qui font de la route pour qu’on puisse se marier comme mes parents l’ont fait, et leurs parents avant eux ».


Traverser les frontières nationales ou départementales


En Moselle, les sacrements traditionnels ont aussi été interdits par le nouvel évêque, Mgr Ballot, au détour d’une réunion de prêtres le 15 novembre dernier. « Pas grave, on va en Allemagne. Je ne croyais pas dire ça un jour, mais vive l’Europe ! », relève un fidèle messin. A Sarrebruck, le prieuré de la FSSPX est à cinq kilomètres de la frontière. En train, à un quart d’heure de Forbach. En tramway, 25 minutes de Sarreguemines – et un peu de marche. D’autres vont au Luxembourg – une heure depuis Metz, cinquante minutes en train.

Ailleurs, le pli est pris – les cambraisiens, quand ils n’ont pas leur messe traditionnelle – elle est mensuelle, vont, comme les habitants de Douai et de Valenciennes, les plus proches, en Belgique. Le carmel de Quiévrain jouxte la frontière, à 20 km de Valenciennes, sur l’ancienne nationale rythmée par les clochers de Saint-Michel, d’Onnaing et de Quiévrain. Pendant le confinement, c’était l’inverse – les messes belges étant limitées à quinze fidèles, c’est l’abbé de la FSSPX de Quiévrain qui franchissaient la frontière, l’évêché de Cambrai lui laissant l’église de Blanc Misseron, à quelques pas de la frontière, côté français, sous-utilisée.

Se déplacer pour assister à la messe, la vraie, les ardéchois le pratiquent aussi. L’évêque de Viviers n’a jamais su appliquer Summorum Pontificum chez lui, et pendant longtemps, du Puy à Nîmes, il n’y avait aucune messe régulière. Depuis quelques années, il y a une messe régulière à Alès, dans une maison donnée à la FSSPX, mais toujours rien en Ardèche.

Les rares messes, les sacrements, tout ici est par nature clandestin, et s’inscrit dans la longue lignée de la résistance cévenole, mais cette fois d’une résistance catholique, où cette fois les traditionnels sont les Camisards, et les curés officiels les dragons qui les pourchassent, mais leur armée est atteinte par le dépérissement. Les fidèles, eux, font la route, des dizaines de kilomètres à travers les cols enneigés pour aller au Puy, ou descendre en Drôme, et au sud des Cévennes – voire le Languedoc pour certains – Montpellier et Lattes sont plus proches du nord du Gard que la seule messe diocésaine autorisée de Nîmes (ICRSP), Pont-Saint-Esprit, à l’est du Gard, limite de l’Ardèche, est bien plus près du prieuré FSSPX de Sorgues ou de la chapelle de Montélimar (FSSP) que de son chef-lieu.

Vu de la plaine du Rhône, côté Drôme, ou de la plaine de Bollène, la ligne bleue des collines de l’Ardèche est la dernière grande frontière de la Tradition en France, emblématique de ces Cévennes qui, on l’oublie trop en parlant des protestants, ont donné des milliers de prêtres et de vocations religieuses – en 1901 la Semaine religieuse de Mende indiquait que la seule Lozère a donné depuis le Concordat plus de 1700 religieux, dont 1000 frères des écoles chrétiennes, et plus de 5000 religieuses dans 25 congrégations. De 1915 à 1940 le diocèse de Mende donne 140 prêtres à des diocèses moins pourvus, dont 20 à Paris. Et de 1860 à 1940, la Lozère suscite 5000 vocations religieuses, dont 836 pour la seule congrégation de Picpus.


Ces Cévennes si prolifiques, les zélateurs du « printemps de l’Eglise » et de Vatican II en ont fait un désert.

Désert, justement le mot signifiait pour les Camisards protestant ces refuges où ils se célébraient leur culte interdit. C’est le culte catholique qui est aujourd’hui réduit au désert. Les fidèles traditionnels, catholiques cette fois, savent que la Tradition réensemencera le désert. 

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